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Faut-il renoncer à voyager avec ses enfants ?

Ce billet est extrait de la newsletter hebdomadaire « Darons Daronnes » sur la parentalité, envoyée tous les mercredis à 18 heures. Pour la recevoir, vous pouvez vous inscrire gratuitement ici.

« Felix with model aircraft » (« Felix avec son modèle réduit d’avion »). A Dungeness, dans le Kent (Grande-Bretagne), en 2007.

Après une petite semaine de pluie glaciale, de grêle et de toux familiale sur les paysages vallonnés de la Haute-Saône pendant ces vacances, je me suis prise à rêver de voyage lointain. J’adore l’est de la France, un lieu qui m’est familier depuis ma naissance. Mais j’adore aussi l’odeur du dépaysement, celle qui vous saisit à la gorge lorsque vous mettez les pieds sur le tarmac d’un pays inconnu. Ou faudrait-il écrire plutôt « j’adorais » ?

Il est indéniable qu’avec trois enfants en bas âge nous avons entrepris moins d’excursions planétaires que nous ne le faisions avant leur naissance : trop cher, trop fatigant. Indéniable aussi qu’avec la montée de l’anxiété climatique nous y réfléchirions à deux fois avant d’émettre 15 tonnes équivalent CO2 pour un aller-retour à Bangkok, par exemple…

Trois tonnes chacun, c’est davantage que ce qu’un humain sera censé émettre en une année entière, en 2050, pour que la planète ne se réchauffe pas au-dessus de 2 °C. Dans sa chronique « Chaud devant », ma collègue Cécile Cazenave faisait récemment parler des parents baroudeurs de leurs solutions pour faire découvrir le monde à leurs enfants sans (trop) le cramer. Bilan : des odyssées ferroviaires en wagon-lit et une exploration du continent européen. Pour San Francisco, on repassera, comme le dit une mère résignée.

Une transgression et une faute

Le simple fait de se poser cette question en ces termes est socialement très marqué : en France, chaque année, seuls 55 % à 70 % des Français partent en vacances, et, parmi eux, environ 20 % vont à l’étranger. Nous parlons donc d’une minorité privilégiée, à laquelle j’appartiens. J’ai eu le privilège inouï de voyager jeune – ça, je le mesurais déjà à l’époque – et sans mauvaise conscience écologique – ça, je pouvais difficilement prévoir que ce serait bientôt un temps révolu. Nos enfants sont-ils condamnés à vivre chaque voyage comme une transgression et une faute ? A ceux de ma génération, l’on a fourré dans les poches un Guide du routard, un billet low cost et une consigne : partez loin ! Et voici que ces portes se referment déjà et qu’un autre discours émerge pour les suivants : restez chez vous !

Lire les témoignages : Article réservé à nos abonnés Pourquoi entre 35 % et 40 % des Français ne partiront pas en vacances cet été

Honnêtement, je ne sais pas quoi en penser. Une partie de moi trouve très triste l’idée que nos enfants renoncent à l’ailleurs, au très différent, à l’inconfortable. Mais une autre partie de moi se demande ce qu’ils y trouveraient vraiment, dans cet ailleurs. J’ai lu le nouveau livre de Julien Blanc-Gras cette semaine, Bungalow (Stock, 200 pages, 19 euros, parution le 2 mai). Le reporter-écrivain-voyageur a publié plusieurs ouvrages sur le tourisme et sur sa paternité (Comme à la guerre, Stock, 2019). Cette fois, il raconte son séjour familial en Asie du Sud-Est, pendant quatre mois, avec sa femme et leur fils de 9 ans. Quatre mois d’échappée, au sens propre, pour éviter le mur vers lequel sa femme se dirigeait à pleine vitesse dans son boulot. Comme dans tous ses livres, Julien Blanc-Gras déploie une sorte de tendresse sarcastique, un flegme humaniste, un peu comme si l’on avait trempé un Houellebecq dans un bain moussant à la fraise. J’ai trouvé ce livre incroyablement touchant. Parce qu’à la mélancolie réflexive des écrivains-voyageurs sur le sens du voyage, il ajoute une autre dimension : celle de l’enfance.

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