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L’ambivalence de la gauche face à l’héritage de Jacques Delors, à la fois « référence » et « briseur de rêves »

François Mitterrand et Jacques Delors, lors d’un sommet du G7, à Williamsburg (Virginie), en mai 1983.

Au-delà des hommages unanimes à l’« intégrité », la « droiture », l’« honnêteté intellectuelle », la « vision noble de la politique » de Jacques Delors, la disparition de ce dernier, mercredi 27 décembre, a réveillé une vieille blessure au cœur de la gauche française. Pour plusieurs générations de socialistes en effet, celui que l’Europe célèbre aujourd’hui incarne le tournant de la rigueur. Dès novembre 1981, alors qu’il est ministre de l’économie et des finances de François Mitterrand, ce social-démocrate convaincu, adepte du compromis entre l’Etat et le marché, ancien collaborateur de Jacques Chaban-Delmas, appelle à l’austérité budgétaire.

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« Comme Michel Rocard, il était affolé par les nationalisations et extrêmement soucieux des finances publiques, se souvient l’ancien sénateur socialiste du Loiret Jean-Pierre Sueur. Mais ce n’était pas la rigueur pour la rigueur. C’était la rigueur comme élément d’une politique sociale. » « C’était une gauche de gouvernement, elle était responsable financièrement », appuie le premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici. « C’est Delors qui a fait entrer le PS [Parti socialiste] dans le réalisme de gauche, souligne le politiste Rémi Lefebvre, professeur à l’université de Lille. Dès la fin des années 1970, il considère que la position du PS sur les déficits est insensée. »

Une vision qu’une partie de la gauche ne partage pas. « Delors, c’était partir du réel et le transformer, pas le rêver, synthétise l’ancien premier secrétaire du PS Jean-Christophe Cambadélis. Il y a toujours eu une réticence à son égard, et, encore aujourd’hui, les socialistes préfèrent se référer à [l’ancien président du conseil Pierre] Mendès France qu’à Delors, parce qu’il y a ce remords de la rigueur. Delors était vu comme un briseur de rêves. »

L’actuel patron du PS, Olivier Faure, ne veut pas faire de l’ancien ministre « l’apôtre de la rigueur ». Le tournant de 1983, dit-il au Monde, « était lié au contexte du moment, au risque de décrochage économique de la France ».

« Une philosophie de l’action »

Briseur de rêves, Jacques Delors a continué de l’être à la tête de la Commission européenne, de 1985 à 1995. Il y sera « un acteur essentiel de la dérégulation des marchés de capitaux, souligne Rémi Lefebvre. Il pensait, avec d’autres, que la mondialisation allait permettre d’améliorer le pouvoir d’achat des classes populaires ».

Jean-Pierre Chevènement, à la tête de l’aile gauche du PS à l’époque, s’y oppose fermement et lui en fait encore le reproche aujourd’hui. Par le truchement de la Commission, « Jacques Delors a infusé dans la politique française une dose de libéralisme supérieure à toutes celles qu’il eût été possible d’imposer par la voie légale normale, a écrit l’ancien ministre de François Mitterrand jeudi sur le réseau social X. Il a ainsi infléchi de manière indélébile la trajectoire de la gauche française. » L’ancien candidat à la présidentielle de 2002 reconnaît toutefois à son aîné d’être « un des derniers représentants d’une époque où les hommes politiques disaient ce qu’ils faisaient et faisaient ce qu’ils disaient », salue-t-il.

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