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« Le soir du réveillon, notre attention est rivée sur les bêtisiers de Noël, de peur que le moindre mot ne fasse éclater une dispute »

La première fois que mon réveillon de Noël se passe mal, j’ai 10 ans. Mes parents se sont séparés depuis cinq ans déjà. Avec ma grande sœur, nous passons le repas de Noël chez ma mère. Depuis quelque temps, cette dernière a développé de gros problèmes d’addiction à l’alcool. Dès qu’elle boit, elle devient méchante, elle nous insulte. Ce soir-là n’échappe pas à la règle. Elle ressasse le passé, nous reproche des choses de quand nous étions plus jeunes. Ma sœur et moi pleurons. C’est dur d’entendre sa mère, que l’on adore, dire des choses aussi cruelles sur ses propres enfants.

Depuis, c’est la même chose tous les ans. A chaque réveillon, le ton monte, les insultes fusent, et d’un seul coup, nous voilà debout, ma sœur et moi, sur le point de quitter le repas et la maison de notre mère. Il n’y a pas un seul dîner de Noël qui s’est bien déroulé depuis plus de dix ans. Mais j’y retourne toujours, car je culpabilise de laisser ma mère seule. Elle n’a plus aucun lien avec sa famille, n’a pas beaucoup d’amis. Je ne peux pas la laisser tomber, ce serait trop triste.

Il y a quelques années, ma sœur a décidé de prendre ses distances. Au moment des fêtes, elle quittait systématiquement notre Nord natal pour être loin de ma mère. Elle me disait : « J’ai envie de passer une bonne fin d’année. » Sauf que moi aussi j’avais besoin de passer une bonne fin d’année. Alors, depuis ce jour, nous avons décidé de faire des roulements. Quand ma sœur passe Noël chez ma mère, moi j’y passe le Nouvel An, puis nous essayons d’inverser les rôles l’année d’après. Avec ce fonctionnement, les engueulades sont moins fortes. Sans doute parce que ma mère avait l’impression qu’à deux on se liguait contre elle.

« J’évite les blagues et le second degré »

Lorsque je passe Noël avec ma mère, je suis ultra-vigilante. Les phrases que je prononce à haute voix ont toutes été répétées dans ma tête plusieurs fois. J’évite les blagues et le second degré. Tous mes mouvements sont mécaniques, j’ai peur de faire un geste brusque. Il m’est déjà arrivé à Noël de renverser le pot de sel et que ma mère déraille. Je scrute tous ses faits et gestes et j’essaie de capter si elle a le moindre changement d’humeur. Dans son salon, la télé est souvent allumée. En règle générale, on discute par-dessus le bruit qui émane de l’écran. Mais le soir du réveillon, notre attention est rivée sur les bêtisiers de Noël, de peur que le moindre mot sorti de notre bouche ne fasse éclater une dispute. On observe le silence.

Puis quand je sens qu’il se fait tard ou que j’ai peur d’une tension, je prends mon manteau et je retourne dormir chez mon père qui vit à une dizaine de minutes à pied. Le fait que sa maison soit si proche me rassure. Je me dis que j’aurai toujours une porte de sortie. Notre père nous demande parfois comment s’est déroulée la rencontre avec notre mère, mais nous n’entrons jamais vraiment dans les détails.

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