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L’« effet spectateur », un inhibiteur du comportement humain dans des situations d’urgence

Retrouvez tous les épisodes de la série « Les explorateurs de la psychologie » ici.

Le 13 mars 1964, vers 3 heures du matin, une jeune serveuse de bar, Kitty Genovese, est poignardée et violée au pied de son immeuble du Queens, à New York, d’abord en pleine rue puis dans la cage d’escalier, où son agresseur la laisse à l’agonie.

Ce meurtre – l’un des 9 360 commis aux Etats-Unis cette année-là – serait passé presque inaperçu si le rédacteur en chef des pages locales du New York Times n’avait déjeuné dix jours plus tard avec le patron de la police municipale. Les deux hommes parlent de l’arrestation fortuite du coupable, qui a tout avoué, puis le chef des forces de l’ordre se lamente sur l’inertie des voisins de la victime, suggérant que ses services ont les noms de trente-huit témoins ayant assisté à la scène sans bouger.

Deux semaines après les faits, le New York Times fait sa « une » sur l’affaire. « Pas une seule personne n’a appelé la police pendant l’agression », accuse le quotidien. Le fait que cette attaque d’une durée totale d’une demi-heure ait été vue par trente-huit personnes « bien au chaud derrière les fenêtres de leur appartement », comme le formulera l’écrivain français Didier Decoin dans un roman de 2009 sur l’affaire Genovese (Est-ce ainsi que les femmes meurent ?, Grasset), choque les Américains.

Les grandes villes sont-elles toxiques ? Produisent-elles de l’indifférence et de l’apathie ? Le sort de la jeune New-Yorkaise lance un débat de société sur la « déshumanisation » de l’Homo urbanicus – le citadin. Il attire aussi l’attention de deux psychologues de l’université Columbia (New York), John Darley (disparu en 2018) et Bibb Latané, lesquels se demandent plus prosaïquement si un nombre important de témoins favorise une « dilution de la responsabilité ».

Pour tester leur hypothèse, les chercheurs invitent des volontaires dans leur laboratoire sous différents prétextes, leur véritable intention étant de les exposer à une situation d’urgence. Dans une variante de l’expérience, un participant semble faire une crise d’épilepsie. Dans une autre, de la fumée s’infiltre sous la porte alors que les cobayes remplissent un questionnaire. Les jeunes psychologues constatent que le nombre d’individus présents, qui varie de un à cinq, est inversement corrélé à la probabilité d’une intervention. Dans le scénario de la fumée, par exemple, 55 % des sujets seuls donnent l’alerte dans les deux premières minutes, contre 12 % des groupes de trois. Chez les groupes de quatre, il faut attendre quatre minutes pour atteindre 12 % de signalement (à ce stade, 38 % des groupes de trois et 75 % des sujets seuls se sont manifestés). Si des complices de l’expérimentateur se glissent dans le groupe pour jouer l’apathie, la réactivité des vrais participants s’effondre encore plus.

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