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« Malgré ce que nous avons appris à l’école sur la révolution industrielle, la richesse reste inextricablement liée à la détention d’un titre de noblesse »

L’historien américain Arno Mayer avait montré, dans un livre célèbre paru en 1981, que le déclenchement de la première guerre mondiale, contrairement à la thèse jusqu’ici dominante dans l’historiographie, n’était pas dû tant aux rivalités impérialistes entre les bourgeoisies capitalistes nationales qu’à « la persistance de l’Ancien Régime » (c’était le titre du livre, traduit en français en 1983 par Flammarion) : les grandes familles aristocratiques des monarchies européennes continuaient à dominer les institutions et les représentations politiques, sociales, culturelles, mais aussi les processus de décision politique qui conduisirent au conflit.

Les travaux du chercheur Aurelius Noble de la London School of Economics – présentés le 15 novembre à l’Ecole d’économie de Paris sous le titre « La persistance de la richesse aristocratique » – révisent à leur tour la vision d’une richesse économique passée au fil du XIXe siècle des mains d’une aristocratie rurale déclinante à celles d’une bourgeoisie urbaine et industrielle en plein essor, à la faveur des révolutions et réformes démocratiques et libérales. C’est ce que nous avons appris à l’école : la première « mondialisation » économique a permis au capital de s’accumuler grâce aux échanges de produits industriels et monétaires, tandis que la part de l’agriculture, dont l’aristocratie tire principalement ses revenus, allait diminuant.

En croisant l’évolution des revenus et des patrimoines déclarés dans les documents de succession avec les données généalogiques (mariages, décès) des riches familles d’Angleterre et du Pays de Galles entre 1858 et 1907 – pourtant le cœur géographique et chronologique de la révolution industrielle –, le jeune historien (au nom prédestiné) montre pourtant que la richesse reste inextricablement liée à la détention d’un titre de noblesse. Sur les 2,2 millions de familles observées dans sa base de données, 1 500 sont celles des pairs et des baronnets – l’élite aristocratique du pays –, soit 0,01 % de sa population. La part des familles titrées dans la richesse totale du royaume reste constante sur la période, tout comme l’écart, 110 fois supérieur au revenu moyen de la population.

Le titre, une protection

Certes, la part des familles « anciennement » titrées (avant 1830) au sein des plus riches diminue très légèrement : elle passe de 50 % en 1860 à 40 % en 1905. Mais cette baisse est compensée par l’anoblissement de nouvelles familles encore plus fortunées : autrement dit, l’appartenance à la noblesse est un gage de protection contre les revers de fortune et le signe d’un enrichissement pérenne. De plus, ces anoblissements postérieurs à 1830 ne sont pas dus qu’à la reconnaissance royale des performances de parvenus issus des rangs de la bourgeoisie marchande, industrielle ou financière : un quart d’entre eux résultent de mariages avec des femmes issues de familles déjà titrées… Même si, au cas par cas, certaines familles voient leur richesse diminuer tandis que celle d’autres augmente, la richesse globale des familles nobles reste constante.

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