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Les fantômes de la Gauche prolétarienne, cinquante ans après sa disparition

Il règne une drôle d’ambiance, ce jeudi 1er novembre 1973, à Versailles. Quelques grappes de jeunes remontent les rues bourgeoises de la ville. Les habitants ne prêtent pas forcément attention à ces visiteurs à l’allure bien différente de celle des fidèles en route pour l’église : beaucoup d’hommes sont barbus, en blouson et jean ; les femmes, elles, portent souvent des pattes d’ef, ces pantalons à la mode. Tous s’engouffrent bientôt dans une salle paroissiale sans âme de la rue Royale. Ils ont la mine triste ou inquiète : ce n’est pas encore officiel, mais ils vont assister à l’« enterrement » de leur organisation, la Gauche prolétarienne (GP). Un mouvement « mao », dans le jargon de l’époque.

Née au lendemain de Mai 68, des ruines de l’Union des jeunesses communistes marxistes-léninistes (structure maoïste étudiante basée à l’Ecole normale supérieure) et d’une partie des libertaires nanterrois du Mouvement du 22 mars, la GP occupe le devant de la scène de l’« agitation » gauchiste. Ses militants – environ 2 000, répartis sur tout le territoire, aussi bien en ville que dans les campagnes, sur les campus que dans les usines – bénéficient du soutien de personnalités. Les écrivains Jean-Paul Sartre et Maurice Clavel sont de fidèles compagnons de route, tout comme le philosophe Michel Foucault. Même des célébrités éloignées du maoïsme telles que le poète et chanteur anarchiste Léo Ferré ou le cinéaste François Truffaut ont soutenu la GP quand le journal de l’organisation, La Cause du peuple, a été saisi, et ses dirigeants arrêtés. En clair, en cette année 1973, la GP ce n’est pas rien.

La réunion convoquée à Versailles, restée dans les mémoires des initiés comme l’« AG des chrysanthèmes », constitue un tournant : celui du refus de la lutte armée par les groupes d’extrême gauche issus de 1968 et la fin du gauchisme.

Pour en prendre la mesure, il faut rappeler que la GP a connu plusieurs morts. Une mort légale, d’abord, en mai 1970. Ce printemps-là, le gouvernement dissout l’organisation qui, selon lui, a « pour but d’attenter par la force à la forme républicaine du gouvernement » et « provoque des manifestations armées dans la rue ». Malgré cela, les maos continuent leurs actions de plus en plus violentes et leur implantation dans la classe ouvrière, jusqu’au point de non-retour.

Des militants épuisés

Ce point est atteint un peu moins de deux ans après, le 25 février 1972. C’est en quelque sorte la deuxième mort de la GP. Ce jour-là, Pierre Overney, un jeune ouvrier, tombe sous les balles tirées par un vigile de la régie Renault, Jean-Antoine Tramoni, à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine). Overney, un militant « gépiste » (pour GP), était venu distribuer des tracts devant l’usine, près de la porte Emile-Zola.

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