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Corse : un moment à saisir

Venu célébrer, jeudi 28 septembre, le 80e anniversaire de la libération de la Corse, Emmanuel Macron a utilisé un mot qu’aucun de ses prédécesseurs ne s’était résolu à employer. Devant les élus de l’Assemblée de Corse, à majorité nationaliste, le président de la République s’est dit favorable à une « autonomie » de l’île « dans la République », tout en prévenant que « ce moment historique » ne se fera pas « sans » ou « contre » l’Etat français.

Même si un long et aléatoire chemin reste à parcourir avant que l’île soit reconnue dans la Constitution en tant qu’entité particulière, le fait que le président de la République se résolve à poser l’« autonomie » comme meilleure option possible représente une étape importante dans les relations tourmentées entre le continent et la Corse. Plus largement, cela bat en brèche l’idée que la République ne peut vivre qu’une et indivisible. Le bougé est significatif.

La mue du chef de l’Etat ne s’est pas opérée spontanément. Elle résulte au contraire d’une volte-face : pendant cinq ans, Emmanuel Macron a fermé la porte à toutes les demandes politiques formulées par les dirigeants de l’île, qui exigeaient que soit reconnu le « caractère politique de la question corse ».

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Son évolution s’est opérée sous une double contrainte : celle d’une nouvelle poussée des nationalistes lors des élections régionales de 2021 et celle d’une énième vague de violence déclenchée sur l’île en mars 2022 par la mort en prison d’Yvan Colonna, qui purgeait sa peine pour le meurtre du préfet Erignac et a été tué par un codétenu. Le gouvernement a alors dû relancer, dans les pires conditions, un cycle de négociations qui n’aurait pas pu démarrer sans la promesse d’« autonomie » formulée par le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin.

Climat d’écoute

L’annonce est forte mais le risque calculé : Emmanuel Macron n’a pas dit clairement, jeudi, si la Corse disposerait d’un pouvoir normatif ou d’un simple droit d’adaptation limité à certains domaines. Il s’est contenté de marquer une intention et de créer un climat d’écoute favorable en allant aussi loin que possible dans la reconnaissance de la langue corse sans pour autant admettre la co-officialisation réclamée sur l’île. Pour le reste, la balle est dans le camp des élus : des nationalistes à la droite, les groupes qui composent l’Assemblée de Corse ont six mois pour tenter de se mettre d’accord. Ce n’est qu’à cette condition qu’un projet de révision constitutionnelle, nécessitant la majorité des trois cinquièmes au Congrès, sera enclenché.

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Au vu des fortes divergences entre nationalistes et autonomistes et sachant les réticences de la droite à toute démarche d’autonomie, le succès n’est pas garanti. Du moins chacun est-il placé devant ses responsabilités à un moment où l’île se porte économiquement mieux mais a de sérieux problèmes à résoudre en lien avec son insularité : montée du grand banditisme et du trafic de drogue ; crise du logement affectant particulièrement les jeunes ; vieillissement de la population rendant problématique l’accès aux soins dans un habitat dispersé…

En flattant l’esprit de résistance des Corses mais en soulignant les attentes concrètes de la population et le besoin d’espérance des jeunes, Emmanuel Macron a mis les élus sous pression et tenté d’enrôler derrière lui les forces vives. Il s’est aussi dévoilé aux yeux de la représentation nationale, qui devra dire sous quelle forme, jacobine ou girondine, la République a le plus de chance de prospérer dans les années à venir. Rarement les conditions d’une évolution n’ont paru aussi favorables. Les élus corses auraient tort de bouder le moment.

Le Monde

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