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Le #MeToo arrive à l’hôpital : est-on vraiment surpris ?

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Après le cinéma, les médias, et des dizaines d’autres variations des hashtags #MeToo et #BalanceTonPorc, c’est au tour du monde médical d’être secoué par la vague. Et comme à chaque fois, il a fallu qu’une personnalité médiatique donne le la. Le 10 avril, l’infectiologue Karine Lacombe accusait le célèbre urgentiste Patrick Pelloux de harcèlement sexuel et moral. Elle assure qu’en 2003, alors qu’elle était interne à l’hôpital parisien Saint-Antoine, où il travaillait également, les étudiantes internes changeaient de planning de garde pour ne pas avoir à travailler de nuit avec lui. Depuis ces révélations, les témoignages d’internes contre leurs supérieurs masculins pleuvent. Le #MeTooHôpital est en marche.

« C’est complètement classique et commun ce qu’on vit et ce qu’a décrit Karine Lacombe », explique Audrey Bramly. Cette interne en anesthésie réanimation à Paris est aussi la représentante « Violences sexistes, sexuelles et morales » à l’AJAR Paris, l’Association des jeunes anesthésistes-réanimateurs de France.

« J’entendais tellement de choses autour de moi que je me suis dit qu’il était peut-être possible de faire un recueil [de témoignages] », rajoute la jeune femme qui en est à sa 10ème année d’études. Des témoignages qui vont jusqu’au viol. Audrey Bramly témoigne de l’univers dans lequel elle a évolué et dévoile les messages d’avertissement délivrés aux internes : « Ne donnez pas votre numéro de téléphone personnel à ce médecin », sous-entendu « vous êtes averties, donc si vous le faites, les conséquences vous reviennent. » Or, « parfois, ça peut arriver qu’on ait besoin de le donner » pour apporter des éléments sur un patient. Audrey rappelle alors que dans un monde sain « ce n’est pas à la victime de faire attention. »

Humour carabin

La principale cause des maux du monde hospitalier serait « l’humour carabin ». Il permettrait, selon certains, d’exorciser un quotidien pas facile. Une tradition qui repose notamment sur un comportement et un langage potaches, sexistes et qui tournent souvent autour du sexe et du grivois.

Les femmes sont évidemment les premières visées. Les fresques pornographiques dans les salles de garde, les chansons paillardes et les rites dans les soirées étudiantes en sont des exemples parfaits. Mais selon Audrey Bramly, il ne faut pas se cacher derrière l’humour carabin pour justifier des violences sexistes et sexuelles. « C’est comme dire qu’il ne fallait pas être dehors à 2 h du matin », ou de demander à la victime comment elle était habillée.

Humour carabin ou pas, les chiffres sont alarmants : 78 % des femmes médecins disent avoir subi des violences sexistes, 30 % parlent de gestes et d’agression, mais seulement 3 % disent en avoir parlé à leur hiérarchie.

Double, triple voire quadruple peine

« Heureusement, les choses commencent à changer », se réjouit doucement Coraline Hingray, médecin psychiatre à Nancy. Mais l’omerta est un mal persistant. Pourquoi ? « Il y a encore trop souvent de l’impunité pour les auteurs et les agresseurs », répond celle qui est aussi vice-présidente de l’association Donner des Elles à la santé. Du coup, les victimes qui osent porter leur voix (et c’est loin d’être simple) sont mises à l’écart par leur direction. Les victimes se « retrouvent à devoir continuer à être au contact de l’agresseur ou à devoir partir pour ne pas être complètement stigmatisées ».

Il est à noter que les remarques sexistes et les agressions ne s’arrêtent pas à la fin des études des internes. Elles se poursuivent parfois tout au long des carrières des femmes. « Il y a une surreprésentation masculine aux postes à responsabilité qui peut aussi expliquer le côté continu de ses violences sexistes et sexuelles », ajoute la psychiatre.

Que fait l’Ordre des médecins ?

Lorsqu’un médecin est mis en cause dans une affaire d’agression ou de harcèlement, il existe plusieurs leviers de sanctions : la justice, l’administration et l’Ordre des médecins. Pour ce dernier, « on sait qu’il y a eu beaucoup de retard pendant longtemps sur la prise en compte de ces agressions et des condamnations », déplore Coraline Hingray.

Sur son site internet, le Conseil national de l’Ordre des médecins se présente comme l’organe de régulation déontologique de la profession médicale, dont l’une des prérogatives est de soutenir les médecins en cas de difficulté. Mais pour l’ancienne ministre de la Santé Agnès Buzyn, cette institution de droit privé a trop souvent protégé les comportements violents.

À la question « vous sentez-vous protégée par l’Ordre ? », l’interne Audrey Bramly est catégorique : en cas de problème, « je n’irais pas forcément voir l’Ordre des médecins en premier lieu. »

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