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David Le Breton, sociologue : « Nous sommes de moins en moins ensemble, mais de plus en plus côte à côte, les yeux rivés sur nos écrans, sans plus nous regarder »

Le visage est le centre de gravité de toute conversation. Le face-à-face est d’abord un « visage à visage » traduisant un principe de considération mutuelle qui implique la réciprocité d’une attention, à moins d’incommoder celui qui ne reçoit rien en retour. On supporte mal celui qui ne nous regarde pas en face en s’adressant à nous. Les individus en présence ne cessent d’orienter leurs propos et leurs mouvements sur ce qu’ils perçoivent des mimiques, des gestes, de la parole et de la voix, du regard de leurs interlocuteurs.

Le visage incarne la morale de l’interaction, sa nudité expose, son expressivité dissimule parfois mal les accrocs ou la satisfaction mutuelle. Il n’est pas une partie du corps comme les autres, il s’en détache par sa position, sa valeur, son éminence dans la communication et, surtout, le sentiment d’identité qui s’attache à lui.

Pour fonder le lien social, chacun doit être en position de répondre de ses traits et d’être reconnu de son entourage. Le visage rend possible le lien social à travers la responsabilité dont il dote l’individu dans sa relation au monde. Pourtant, son absence croissante, même dans l’élémentaire du quotidien, pose question.

Aujourd’hui, dans maintes interactions ou sur les trottoirs des villes, les visages deviennent rares, le plus souvent absorbés par l’écran du smartphone. L’individu est saisi dans une sorte d’hypnose sans fin, aveugle à son environnement, indifférent à ce qui se passe à son entour. S’il était discourtois, il y a quelques années, de parler à quelqu’un sans le regarder ou avec une attention portée sur autre chose, le fait est aujourd’hui entré dans la banalité des interactions.

Société spectrale où, même devant les autres ou dans les rues, les yeux sont souvent baissés sur l’écran comme ailleurs dans les cafés, les restaurants, les salles d’attente, les transports en commun, les trains… Partout cette absence des visages, de regards autour de soi, des individus courbés sur leur écran. Beaucoup parlent seuls dans la rue ou dans des espaces communs, sans crainte de déranger les autres. Mais la connexion, sous ses formes multiples, n’est pas le contact, qui implique justement une commune présence, et une sensorialité partagée.

Un monde sans chair

Certes, dans un contexte social où les valeurs de l’ultralibéralisme s’imposent même dans la vie quotidienne, cette connexion est efficace, fonctionnelle, rapide, fondée sur une disponibilité sans repos, mais elle est insuffisante en elle-même à établir l’échange d’une signification porteuse de valeur. Ce sont des communications sans visage, sans présence, qui prolifèrent comme une enveloppe rassurante mais en tenant l’autre à distance et en disqualifiant la valeur de la parole.

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