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Vincent Tiberj, politiste et Laurent Lardeux, sociologue : « Le vote des jeunes n’a pas disparu, mais il est devenu intermittent »

Des soutiens des Soulèvements de la Terre devant le Conseil d’Etat, à Paris, le 27 octobre 2023.

Le vote est-il « has been » ? Cette question sera débattue dans le cadre du festival Nos futurs. Entretien avec Vincent Tiberj, politiste spécialiste des comportements électoraux et politiques, et Laurent Lardeux, sociologue, qui ont codirigé l’ouvrage Générations désenchantées ? Jeunes et démocratie (Injep, 2021).

La désaffection des jeunes vis-à-vis de la démocratie représentative est-elle récente ?

Vincent Tiberj : Non. Dès la fin des années 1970, [le politologue américain] Ronald Inglehart identifie les prémices de ce qu’il désigne comme une « révolution silencieuse ». Plus diplômés, plus critiques, les jeunes de l’époque remettent en cause la logique de délégation induite par la démocratie représentative. Cette dernière repose sur la confiance en l’expertise des élus, des élites. Elle se nourrit d’une déférence a priori, qui persiste encore dans les comportements de vote des électeurs plus âgés et plus conservateurs. Cet attrait pour la verticalité du pouvoir est toujours présent chez certains boomeurs – n’oublions pas qu’au mouvement révolutionnaire de Mai 68 répondit la mémorable marée humaine conservatrice du 30 mai, sur les Champs-Elysées, cette grande manifestation à l’appel du général de Gaulle. Mais, chez les jeunes diplômés, les choses bougent dès cette époque, et on commence à parler de l’émergence d’une génération de citoyens engagés, demandeurs d’une démocratie plus participative.

Des citoyens qui prennent leurs distances avec la politique…

Laurent Lardeux : Oui, mais aussi des politiques qui tiennent à distance les citoyens. Il y a une réciprocité : la défiance que les citoyens expriment à l’égard des élus depuis plusieurs décennies peut aussi être vue comme le reflet de la défiance de certains élus à l’égard de formes d’expression politique plus alternatives, qui ne passent pas que par le vote. Soit les jeunes citoyens ne votent pas, et ils seront considérés comme dépolitisés et désintéressés par la chose publique (ce qui est de moins en moins vrai), soit ils s’engagent, manifestent, participent à des actions collectives, notamment sur le climat, et on les considère non plus comme dépolitisés, mais comme « radicalisés », ce qui ne facilite pas un dialogue apaisé entre citoyens et élus.

V. T. : Exactement. Et cette distance se renforce à proportion de la résistance que les élites opposent aux formes alternatives de démocratie. Encore plus éduqués que leurs prédécesseurs, les post-boomeurs puis les millennials (nés dans les années 1980-1990) constatent que les promesses d’horizontalité ne sont que des leurres : la démocratie participative demeure balbutiante, les conventions citoyennes, qui donnent pourtant des résultats passionnants, ne sont pas vraiment prises en compte… Si bien que le rapport au vote se transforme profondément.

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