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Nicolas Sarkozy sur la Russie : une « faute terrible » pour Julien Bayou, du « bon sens » pour Dmitri Medvedev, l’ex-président russe

Le plaidoyer de Nicolas Sarkozy pour une Ukraine « neutre » et un référendum censé « entériner » l’annexion de la Crimée suscite les critiques de politiques et d’experts qui jugent « honteux » les propos de l’ex-président et l’accusent d’être « acheté » par la Russie de Poutine.

Nicolas Sarkozy a livré au quotidien son analyse du conflit en Ukraine, qui ne pourra se régler, selon lui, que par « la diplomatie, la discussion ». A propos de la Crimée, « dont une majorité de la population s’est toujours sentie russe », analyse M. Sarkozy, « tout retour en arrière est illusoire ». Même si l’ancien président concède que l’annexion de la Crimée en 2014 constitue « une violation évidente du droit international », la seule issue serait un référendum « organisé sous le contrôle strict de la communauté internationale (…) pour entériner l’état de fait actuel », c’est-à-dire le rattachement de la Crimée à la Fédération de Russie. La même voie serait à explorer pour les « territoires disputés de l’est et du sud de l’Ukraine ».

Quant à l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne ou à l’OTAN, après la fin du conflit, l’ancien chef de l’Etat l’exclut. Pour lui, l’Ukraine devrait être « neutre », car elle a « vocation de pont entre l’Europe et la Russie ». « Demander à l’Ukraine de choisir entre ces deux entités me paraît contraire à l’histoire et la géographie de cette région si complexe », dit aussi M. Sarkozy.

« Un influenceur russe »

Les répliques n’ont pas tardé. Nicolas Sarkozy commet « une faute terrible » et « doit être considéré comme un influenceur russe », a affirmé jeudi 17 août le député écologiste Julien Bayou. L’entretien fleuve de l’ancien chef de l’Etat, en amont de la parution d’un nouveau tome de ses Mémoires, est « lunaire » et « choquant », selon M. Bayou, qui a estimé sur LCI qu’« un ancien président ne devrait pas dire ça ».

« On le comprend mieux quand on sait qu’il est acheté par les Russes », a ajouté l’ancien secrétaire national d’Europe Ecologie-Les Verts, rappelant à plusieurs reprises les liens entre M. Sarkozy et une société d’assurance russe, objet depuis 2021 d’une enquête du Parquet national financier pour possibles « trafic d’influence » et « blanchiment de crime ou délit ». En prenant « le contrepied de la position française sur l’annexion de la Crimée » et en « balay[ant] les crimes de guerre dont sont accusés les Russes et [Vladimir] Poutine », l’ex-président commet « une faute terrible », a insisté M. Bayou.

Pour le député écologiste, M. Sarkozy « ne doit plus être considéré comme un ancien président de la République mais comme un influenceur russe », au même titre que son ancien premier ministre François Fillon, qui a pour sa part été rémunéré par de grands groupes russes de l’énergie. « Ce n’est pas n’importe qui, pas des consultants free-lance », a relevé M. Bayou, évoquant également les liens entre Moscou et Marine Le Pen – qui a bénéficié d’un prêt d’une banque tchéco-russe – et dénonçant une « emprise des élites par la Russie, qui est un poison pour notre démocratie ».

En disant « que la Crimée était une partie historique de la Russie et que l’Ukraine n’avait pas sa place dans l’UE », M. Sarkozy ne s’est accordé les faveurs que de Dmitri Medvedev, l’ex-président russe, qui a salué sur X (anciennement Twitter) et en français, le « bon sens » de Nicolas Sarkozy. En l’opposant à ceux qui planifient « des invasions incompétentes en Afrique » ou qui fournissent « des missiles aux nazis à Kiev ».

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« Indigne d’un ancien président de la République »

Les déclarations de l’ex-chef d’Etat ont par ailleurs fait réagir son ancien collaborateur Jérôme Poirot, qui fut son conseiller à Bercy, puis adjoint de son coordonnateur du renseignement à l’Elysée et qui a fustigé des « propos honteux », toujours sur LCI. M. Sarkozy « n’a aucun recul sur ce qui s’est passé » ni « sur ce qu’il a fait » durant son mandat, a-t-il observé, soulignant que son intervention en 2008 contre les adhésions à l’OTAN de l’Ukraine et de la Géorgie n’avait pas empêché la Russie d’envahir ce pays du Caucase, quelques mois plus tard.

Quand l’ancien président explique qu’il a eu raison parce qu’il « connaissai[t] les lignes rouges de [Vladimir] Poutine, mais on tombe de sa chaise », M. Poirot s’interroge : « Quelles étaient les lignes rouges du président Sarkozy ? Quelle était la vision qu’il avait de la sécurité de la France ? (…) Simplement satisfaire les desiderata de Vladimir Poutine ? » Quant à « l’argent perçu venant d’intérêts russes » – 3 millions d’euros pour son contrat avec l’assureur, mais aussi 300 000 euros pour une conférence fin 2018 – « c’est indigne d’un ancien président de la République », a jugé M. Poirot.

Parmi les élus du camp présidentiel, l’eurodéputée Nathalie Loiseau (Renew) a déploré sur X (anciennement Twitter) « la dépendance d’une partie de la classe politique européenne aux vues de Vladimir Poutine », tandis que son collègue belge Guy Verhofstadt se demande s’il faut « rire ou pleurer » des déclarations de M. Sarkozy, emblématiques des « erreurs tragiques » vis-à-vis d’une Russie devenue « un Etat terroriste ».

La députée des Yvelines Natalia Pouzyreff (Renaissance) avait commenté publiquement les propos de M. Sarkozy, jeudi midi. Selon Mme Pouzyreff, l’option de « discuter avec [Vladimir] Poutine », c’est « non », considérant qu’« en envahissant son voisin le 24 février 2022, le chef du Kremlin a tout simplement commis l’irréparable », a-t-elle affirmé sur X (Twitter).

« Complicité directe » ou « interview honteuse »

La ligne officielle n’a pas changé : « La position de la France au sujet de la guerre d’agression russe en Ukraine est bien connue », énonce le Quai d’Orsay. « Aussi longtemps que nécessaire, la France et l’Union européenne seront présentes aux côtés des Ukrainiens », a précisé Pieyre-Alexandre Anglade, président de la commission des affaires européennes du Palais-Bourbon.

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Le pouvoir ukrainien n’en attend pas moins, rejetant toute velléité de référendum et blâmant la « logique criminelle » de M. Sarkozy, qui « justifie la guerre d’agression » du Kremlin, ce qui équivaut à une « complicité directe », selon Mykhaïlo Podoliak, conseiller du président Volodymyr Zelensky.

Sans aller jusque-là, le spécialiste des relations internationales François Heisbourg a jugé que cette « interview pro-Poutine honteuse » pourrait « mettre dans le pétrin » l’ex-président français, « et pas seulement politiquement ». Membre comme lui de la Fondation pour la recherche stratégique, Bruno Tertrais a simplement ironisé sur un entretien qui « pourra faire rire, pleurer ou susciter de la commisération ».

Le Monde avec AFP


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