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« Capital et race. Histoire d’une hydre moderne » : les destins liés de la question raciale et du capitalisme

« Vous ne pouvez avoir le capitalisme sans le racisme » : c’est dans les rires nerveux d’une assemblée venue débattre du socialisme que le leader politique Malcolm X improvisa cette formule devenue célèbre, le 29 mai 1964. Sur l’enregistrement qui subsiste de cette rencontre, organisée à New York par la revue hebdomadaire The Militant, la phrase est à peine audible. Elle structure aujourd’hui un vaste mouvement de pensée qui irrigue une partie de la recherche historique. C’est à la longue histoire de cette idée qu’est consacré le livre de Sylvie Laurent, Capital et race. Histoire d’une hydre moderne (Seuil, 512 p., 25 €).

Si Karl Marx avait bien souligné que le capital devait être défini non comme une chose, mais comme un rapport de classe, la question raciale restait relativement marginale dans ses analyses. Chez des théoriciens tels que le sociologue W. E. B. Du Bois, auteur des Ames du peuple noir (La Découverte, 1903, 2007) ou le politiste Cedric Robinson, auteur de Marxisme noir. La genèse de la tradition radicale noire (Entremonde, 1983, 2023), la race est traitée comme la classe chez Marx : elle ne désigne plus une réalité biologique, mais une configuration sociale, un rapport de domination qui plonge ses racines dans le capitalisme.

On ne trouvera pas dans ce livre une histoire économique du « capitalisme racial », considéré du point de vue de ses pratiques et de ses acteurs. La « nouvelle histoire du capitalisme » (« new history of capitalism ») qui, aux Etats-Unis, s’est emparée de ce programme de recherche, y est largement passée sous silence.

Afin de construire sa démonstration, l’auteure passe plutôt par une galerie de portraits. De Christophe Colomb à Frantz Fanon, en passant par Adam Smith et Rosa Luxemburg, elle montre de façon convaincante la continuité des liens entre pensée économique et pensée raciale, là où la tradition tend à séparer ces deux grilles d’analyse.

Double opération d’accaparement

Le récit commence en 1492. Contre les interprétations qui insistent plutôt sur la lente transition du féodalisme au capitalisme, l’auteure met en avant l’importance de la colonisation dans la création de valeur. Elle prend ici appui sur la fable de Robinson Crusoé. Derrière cette parabole du capitalisme civilisateur, issue du roman de Daniel Defoe, se dissimule une double opération d’accaparement de la terre et de racialisation de la population indigène. L’abolition de l’esclavage, au XIXe siècle, ne mit pas fin à ces mécanismes. Elle vit naître une nouvelle forme de colonisation et d’infériorisation raciale se revendiquant désormais de la « mission civilisatrice du capitalisme ».

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