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« Le Rêve du pêcheur », d’Hemley Boum : hommes fragiles du Cameroun

Au Cameroun.

« Le Rêve du pêcheur », d’Hemley Boum, Gallimard, 352 p., 21,50 €, numérique 16 €.

Si seulement ils pouvaient disparaître… Se délester de leurs erreurs en s’évanouissant dans l’océan. ­Liquider leur passé en se réinventant une vie en France. Zacharias, pêcheur, vit à Campo, au Cameroun, probablement dans les années 1970 ; Zachary, son petit-fils, psychologue, habite à Paris, au­jourd’hui. Hemley Boum entre-tisse leurs trajectoires – dans la fiction du moins, car ils ne se connaissent pas. Tous deux appartiennent à une lignée maudite d’hommes fugitifs qui ne savent pas comment vivre, même si leurs femmes leur en donnent la force. Un modèle. Des mots. ­Zacharias et Zachary veulent croire à leur innocence, comme tout un chacun. Hemley Boum fait commencer et finir leur histoire à l’embouchure du fleuve Ntem, à la fois cadre et métaphore de l’intrigue.

Le Rêve du pêcheur décrit ce lieu ambivalent de « rencontre et fracas », où tout se mélange : la vie et la mort, la beauté et le danger, les légendes épiques et le prosaïque gagne-pain. Ici, l’eau brune du fleuve se jette dans celle, ardoise, de l’océan, charriée sur des kilomètres, bien visible. C’est le ­contraire de la fuite. Le drame et la poésie sont intriqués dans ce texte d’une précision d’orfèvre, où l’écrivaine camerounaise, prix Kourouma 2020 pour Les jours viennent et passent (Gallimard, 2019), renouvelle son art de se déplacer, en funambule, d’une génération et d’un continent à l’autre.

Dans ce roman dont le mouvement évoquait la houle, cette composition mettait en lumière, déjà, la répétition de séquences violentes dans l’histoire du Cameroun. Dans Le Rêve du pêcheur, Hemley Boum poursuit l’évocation du passé, précolonial et colonial, de son pays, notamment à travers la langue de Campo, « aux mille mots d’ailleurs ». Cependant, c’est l’intime qu’explore l’écrivaine dans cette histoire de malédiction familiale, où la fragilité masculine est placée au cœur de tous les ­enjeux.

Sans angélisme

D’un côté, donc, il y a Zacharias. Le meilleur pêcheur de Campo coule des jours heureux avec sa femme, Yalana, et leurs deux filles. Jusqu’au jour où une compagnie forestière étrangère s’implante, imposant une coopérative. Bientôt, les pêcheurs se retrouvent salariés, et mieux lotis. Puis des chalutiers arrivent, et ils perdent tout – leur liberté, leur propre rapport au temps et au ­besoin. Difficile de ne pas penser à Tout s’effondre (1958 ; Présence africaine, 1966 ; rééd. Actes Sud, 2013), roman culte de l’écrivain nigérian Chinua Achebe (1930-2013), qui décrit le bouleversement d’un village à l’arrivée des colons britanniques, au XIXe siècle.

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