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A l’âge du bronze, des fondamentaux de l’économie de marché déjà présents dans la société assyrienne

Et s’il était possible de s’inspirer des vieux Assyriens pour reconsidérer la science économique ? Vers la fin des années 1950, le grand historien de l’économie Karl Polanyi (1886-1964) s’est plongé dans la littérature assyriologique pour creuser cette idée séduisante. Dans les correspondances des marchands assyriens retrouvées dans les vestiges de la cité anatolienne de Kanesh, Polanyi voyait la preuve qu’à l’âge du bronze, il y a quatre mille ans, des sociétés complexes avaient pu développer un commerce à grande distance sans aucun des mécanismes et des institutions du capitalisme qui nous semblent aujourd’hui si « naturels » : le marché, la monnaie, l’avidité du capital.

Schématiquement, Polanyi voyait dans les marchands assyriens de Kanesh des agents publics mandatés par les autorités de leur cité, Assur, située à un millier de kilomètres de là, dans le nord de l’Irak actuel. Le commerce était alors, selon lui, un échange administré, un troc de marchandises entre deux parties – en l’occurrence les cités-Etats d’Assur et de Kanesh – selon des modalités fixées par avance. Les prix ne fluctuaient pas et les marchands assyriens opéraient donc sans risque, comme de simples fonctionnaires mus par le devoir d’obéissance à leur cité, plutôt que par la rapacité et l’appât du gain.

Depuis que l’économiste, né en Autriche-Hongrie, a développé ces idées, dans un article de 1957 toujours cité, des milliers de nouvelles tablettes ont été sorties des ruines de Kanesh. Et l’histoire qu’elles racontent est tout autre. Qu’on le regrette ou qu’on s’en réjouisse, elles montrent qu’une grande part des briques fondamentales de l’économie de marché étaient déjà là au XXe siècle avant notre ère, dans le Croissant fertile : le marché et sa régulation par les autorités, le capital, le taux d’intérêt, la monnaie, l’entreprise et même la fraude fiscale…

La famille, une entreprise commerciale

Et le moteur de tout cela ? Il n’a pas changé. Deux Assyriennes dénommées Taram-Kubi et Simat-Assur en donnent un indice dans une lettre qu’elles adressent à leur frère, un certain Imdilum. Nous sommes dans les environs de 1900 avant J.-C., à Assur. Sur un petit pavé d’argile humide, pas plus grand que la paume d’une main, elles impriment à l’aide d’un stylet de roseau dix-neuf lignes de caractères cunéiformes qui composent leur message, qu’on retrouvera quarante siècles plus tard dans les ruines de Kanesh, où leur frère menait ses affaires. « Ici dans la cité d’Assur, nous avons consulté les femmes qui interprètent les rêves, les devineresses et les esprits des morts, et leur réponse a été : le dieu Assur ne cesse de te mettre en garde. Tu aimes tant l’argent que tu méprises ta propre vie ! » N’en déplaise à Polanyi, la cupidité et l’âpreté au gain existaient déjà bel et bien dans la société paléo-assyrienne.

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