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Nouvelle-Calédonie : le campus de Nouville à Nouméa, une île au milieu du chaos

Autour de son ordinateur portable marqué du symbole kanak de la flèche faîtière, Rose (les personnes citées par leur prénom ont requis l’anonymat) a éparpillé ses quelques affaires : code pénal, manuels de droit transformés en millefeuilles de pense-bêtes, bouteille de Coca-Cola. Ce lundi 27 mai, dans une petite salle ensoleillée du campus de Nouville, la grande université calédonienne, à Nouméa, l’étudiante, père océanien, mère kanak, parle longuement de l’insurrection en cours avant de confier : « Les premiers à payer seront ceux des quartiers populaires. Des mamans vont se trouver au chômage, les aides sociales sont en faillite. La famille me dit : “Vivement que tout cela s’arrête.” » Ils se rationnent sur la nourriture, et deux grands-mères sont privées de dialyse.

Rose, étudiante à l’université de la Nouvelle-Calédonie, à Nouméa, le 27 mai 2024.

Quand tout a explosé, le 13 mai, la jeune femme de 23 ans a été « réintégrée immédiatement au Camp Est », la prison. « Pour me protéger », dit-elle. En semi-liberté, voleuse de voitures multirécidiviste, Rose croit en la chance offerte par la justice, après avoir passé son diplôme d’accès à l’université en prison.

Alors que l’accalmie est à portée de main des forces de l’ordre dans Nouméa, elle confie : « Née dans un cocon indépendantiste, je pense que le drapeau kanak a été souillé par les actes de vandalisme qui ont eu lieu. Beaucoup de gens comme nous, les Kanak, n’ont pas perdu leur fierté, mais ils ont été salis par le regard qu’on porte sur eux. Et on est tous responsables. »

Depuis les hauteurs, le campus offre une vue imprenable sur la ville et le bleu de la mer, chacun y est très attaché. Au loin, ce lundi matin, mêlées à la brume, des fumées d’incendie s’élèvent encore des quartiers dans lesquels les forces de l’ordre ont lancé des opérations. Les petits bâtiments de vie des étudiants, blancs avec leurs volets ajourés, sont paisibles. Ils ne sont plus que 150 étudiants ici, sur les 540 qui fréquentent habituellement les lieux.

Des voitures brûlées, utilisées sur les barrages durant les émeutes, entreposées à quelques mètres du port autonome, à Nouméa, le 27 mai 2024.

Isolé sur les hauteurs d’une presqu’île à l’ouest du centre-ville, le quartier de l’université est marqué par l’empreinte des « squats », de vastes bidonvilles que les Nouméens ignorent pour la plupart et dans lesquels ils ne s’aventurent guère. De ces poches de pauvreté extrême, peuplées de jeunes Kanak en déshérence, ont jailli des émeutiers en nombre dans la nuit du 13 au 14 mai. Un barrage a fermé la presqu’île.

Quand l’insurrection a pris à Nouméa, les fumées ont gagné le campus, si denses qu’il devenait difficile de respirer. Noires quand, à Ducos, l’usine de distribution de boissons Le Froid a brûlé. Les communications et Internet ont été coupés brièvement sur le site universitaire. « On a bien paniqué pendant trois jours, on a organisé des rondes », témoigne Morgane, une « métro », candidate à un master d’espagnol en vue de devenir enseignante. Aujourd’hui, s’inquiète cette habitante des quartiers Sud, « beaucoup vont quitter le pays. On peut les comprendre : à qui faire confiance désormais » ?

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