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Dominique Méda : « Nous avons besoin de plus d’Union européenne »

« L’euroscepticisme peut faire appel à la perception réaliste que l’union monétaire ne représente plus une solution gagnant-gagnant pour tous les membres », écrivait Jürgen Habermas en 2018 dans un texte puissant, qui tirait un bilan peu flatteur de l’action de l’Union européenne (UE) et soulignait l’inachèvement démocratique de celle-ci.

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Les recherches les plus récentes permettent de confirmer et de préciser les inquiétudes du philosophe. Le politiste Roland Erne et ses collègues mettent en évidence plusieurs traits essentiels des politiques menées par l’UE entre 2010 et 2020 (Politicising Commodification : European Governance and Labor Politics from the Financial Crisis to the Covid Emergency, Cambridge University Press). La nouvelle gouvernance économique mise en place par la Commission européenne en novembre 2011, qualifiée à l’époque de « révolution silencieuse » par son président, Manuel Barosso, a permis non seulement d’exercer une surveillance rapprochée sur les comptes publics des Etats membres, mais aussi de prescrire des changements politiques dans des domaines qui étaient jusqu’alors restés exclus des interventions de l’UE.

Les auteurs montrent que les salaires, théoriquement hors de la compétence de l’UE, ont fait l’objet de recommandations directes visant à freiner leur augmentation – sauf en Allemagne – et ont pâti de celles-ci. Dans le domaine des transports, de l’eau et de la santé, plus particulièrement étudiés, les prescriptions des autorités européennes sont systématiquement allées dans le même sens : celui de la marchandisation, de la promotion des partenariats public-privé, de la privatisation et de la réduction des services publics.

Détricotage des acquis

Lorsque les sanctions financières du pacte de stabilité et de croissance ont été suspendues, en 2020, la Commission a utilisé l’accès au financement de la « facilité pour la reprise et la résilience » comme moyen de chantage pour imposer ses vues aux pays. Enfin, les auteurs mettent en évidence que, loin d’établir une politique clairement transnationale susceptible d’être combattue par une alliance des syndicats européens, la nouvelle gouvernance économique a entraîné une renationalisation des questions et une concurrence entre les Etats membres, empêchant la constitution d’une force d’opposition convaincante.

Malgré ces conséquences très fâcheuses, une réforme des règles budgétaires qui ne change que très peu le cadre général de la gouvernance économique a récemment été validée par le Parlement européen. Le texte continue de donner des pouvoirs étendus à la Commission européenne et risque d’accélérer la tendance à la réduction des services publics et des droits sociaux, comme l’illustre le souhait récemment exprimé par le ministre français de l’économie, Bruno Le Maire, d’en finir avec un Etat-providence trop coûteux et les annonces du premier ministre, Gabriel Attal, concernant les nouvelles mesures de réduction de l’indemnisation du chômage. Une telle stratégie ne peut qu’alimenter le désespoir des populations et le vote pour les partis d’extrême droite qui, s’ils étaient plus nombreux au Parlement européen, pourraient bloquer le fonctionnement de l’UE et détricoter ses acquis.

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