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Vivre sans avoir d’images mentales… et ne pas le savoir

« Crescent Eyed Portrait », 2018. Composition de l’artiste américain Daniel Gordon.

Cousin de Charles Darwin, Francis Galton (1822-1911) est célèbre pour avoir été le chantre de l’eugénisme, passion triste qui a occulté une œuvre scientifique considérable. On lui doit le terme « anticyclone », l’identification par les empreintes digitales, ou encore des outils statistiques utilisés en psychologie. Son goût pour cette discipline l’a conduit à mettre le doigt sur la diversité de nos capacités à créer des images mentales, identifiant un trait neurobiologique qui ne sera nommé que cent trente-cinq ans plus tard.

En 1880, il expose ainsi dans la revue Mind son « questionnaire de la table de petit déjeuner ». Alors que son cher cousin Charles peut se représenter son breakfast « aussi distinctement que s’il en avait des photos devant lui », d’autres participants à ce test, souvent des hommes de science, déclarent n’avoir aucune imagerie mentale. Leur mind’s eye, leur « œil intérieur », est comme aveugle !

Il se passera presque un siècle avant qu’un nouveau questionnaire, « sur la vivacité des images mentales » (VVIQ), ne se penche sur ces troublantes différences interpersonnelles. Et il faudra attendre 2015 pour qu’un neurologue britannique, Adam Zeman, des universités d’Edimbourg et de Bristol, leur donne un nom scientifique.

L’aphantasie désigne la difficulté ou l’impossibilité de former consciemment des images mentales, tandis que l’hyperphantasie renvoie au cas où « l’imagerie mentale rivalise en vivacité avec la perception réelle », écrit-il. Deux extrêmes de la capacité à créer des représentations mentales, pas seulement visuelles, mais aussi auditives, gustatives, tactiles, etc., entre lesquels se situe la majorité de la population.

Une curiosité cognitive

L’étrangeté de l’aphantasie ? Elle surprend souvent les intéressés. « Cela a d’abord été un choc, témoigne Charlotte Langlais, jeune professeure d’anglais, qui s’est découverte aphantasique en 2020. Je n’imaginais pas qu’il était possible d’avoir des images visuelles, d’avoir même une imagination, puisque dans mon cas toutes les modalités sensorielles sont concernées. »

Demandez-lui d’imaginer croquer dans un citron, elle dira avoir « une légère réaction salivaire, à peine perceptible ». « Et, bien sûr, ajoute-t-elle, je n’ai pas du tout ni l’odeur, ni le goût, ni aucune modalité imaginaire vis-à-vis de ce citron. » Elle compose avec une voix intérieure « très peu développée, très basse, lointaine », qu’elle ne peut pas « faire crier ou chuchoter ». Côté lecture, elle n’apprécie pas les mondes fantastiques à la Harry Potter, leur préfère les écrits très dialogués, réalistes. « Et les adaptations au cinéma ne me choquent pas », dit-elle : faute d’avoir visualisé les personnages, elle a tôt fait d’en oublier les traits. Ne subsistent bientôt de la séance « que des faits, des concepts », et le souvenir d’avoir passé un bon moment – ou non.

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