Close

Côte d’Ivoire : entre Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé, l’impossible succession

L’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo lors de son investiture comme candidat du PPA-CI à l’élection présidentielle de 2025, à Abidjan, le 10 mai 2024.

L’un a écrit sa trajectoire à l’ombre de l’autre, espérant qu’au bout du chemin, son père politique lui transmettrait le témoin. Seulement, entre l’ex-président ivoirien Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé, son ancien ministre de la jeunesse puis, pendant cinq ans, son partenaire de détention à la Cour pénale internationale (CPI), l’histoire ressemble désormais à une route où le patriarche et son héritier putatif ne peuvent plus se croiser. Deux voies parallèles pour une succession impossible entre un homme de bientôt 79 ans qui ne veut pas sortir de scène et un autre, âgé de 52 ans, qui n’attend que de prendre toute la lumière que lui refuse son aîné.

Les derniers jours en Côte d’Ivoire en ont fait encore une fois la démonstration. A seize mois de l’élection présidentielle, ces deux personnalités politiques ont de nouveau affirmé leurs ambitions. Ce fut d’abord, vendredi 10 mai à Abidjan, Laurent Gbagbo, investi sans surprise candidat du Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI), la formation qu’il a créée à son retour, en 2021. Puis, deux jours plus tard, son ancien « général de la jeunesse » effectuait sa rentrée politique à Yamoussoukro, promettant aux militants du Congrès panafricain pour la justice et l’égalité des peuples (Cojep) que « 2025 ne se fera pas sans [eux] » – mais sans aller jusqu’à annoncer sa candidature à la prochaine élection.

A l’hôtel Ivoire d’Abidjan, où il avait réuni des milliers de partisans tout de bleu et blanc vêtus, Laurent Gbagbo, lui, n’a entretenu aucune ambiguïté sur ses intentions, déjà formulées. « Chers amis, une fois de plus, j’accepte d’être votre candidat pour aller à la bataille », a-t-il annoncé, avant de promettre qu’« en un mandat, tout sera bouclé », de l’économie à la réconciliation nationale.

Ce thème fait aussi partie des favoris de Charles Blé Goudé, dont les Jeunes patriotes furent pendant dix ans les boutefeux du régime Gbagbo. « Moi, votre leader, je vous appelle sur le chemin du pardon. Parce que vous avez souffert, votre pardon aura de la valeur », a-t-il plaidé devant la foule de ses partisans, débordant de la Fondation Félix-Houphouët-Boigny pour la recherche de la paix. Quant à ses ambitions pour 2025, s’il s’est dit « prêt psychologiquement, intellectuellement, physiquement pour gouverner la Côte d’Ivoire », il a préféré éluder tout acte de candidature – « Tu dégaines le premier, tu es un homme mort » – et jouer une posture d’humilité vis-à-vis de ses doyens, qu’il souhaite tant remplacer.

Presque tous les partis de Côte d’Ivoire étaient représentés à Yamoussoukro, à l’exception de celui de Laurent Gbagbo. « Nous avons invité tout le monde, a assuré Charles Blé Goudé au Monde. Ceux qui sont venus sont venus, et ceux qui ne sont pas venus, nous ne leur en voulons pas. »

« La popote de La Haye »

Le cadet joue l’apaisement, mais son aîné, lui, ne manque pas d’égratigner son ex-ministre. Le 6 avril, en meeting à Agboville, Laurent Gbagbo l’a taclé, l’accusant de gonfler son importance pendant leur séjour commun en prison. « Il y en a un qui dit partout que c’est lui qui préparait [la nourriture] pour moi, a-t-il ironisé. Mais il ne vous dit pas où il enlevait l’argent ! C’est Nady [Bamba, l’épouse de Laurent Gbagbo] qui donnait de l’argent pour préparer pour nous tous. » Cette polémique, vite surnommée « l’affaire de la popote de La Haye », Charles Blé Goudé la balaye d’une phrase : Laurent Gbagbo, « c’est le père », rappelle-t-il simplement : « Il a le droit de me réprimander en public, moi pas. »

Charles Blé Goudé, le président du Congrès panafricain pour la justice et l’égalité des peuples (Cojep), lors d’une conférence de presse à Abidjan, le 11 janvier 2023.

Si les parcours des deux hommes divergent largement désormais, leurs destins convergent encore sur un point. Alors que se profile une nouvelle candidature de l’actuel président, Alassane Ouattara, Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé, pourtant acquittés par la CPI en 2021, restent inéligibles du fait de leur condamnation par la justice ivoirienne, en 2018 et 2019, à des peines de vingt ans de prison pour des faits liés à la crise post-électorale de 2010-2011.

Contrairement à l’ancien président, Charles Blé Goudé n’a pas reçu de grâce présidentielle et ses comptes bancaires demeurent gelés. Tous deux attendent désormais de pouvoir réintégrer la liste électorale grâce à une amnistie que Laurent Gbagbo, pressé par l’âge, tente d’obtenir au forceps. Samedi, le PPA-CI a demandé à ses militants et aux « démocrates épris de justice » de se mobiliser et de « recourir à tous les moyens légaux pour obtenir la réinscription du nom de Laurent Gbagbo sur la liste électorale ».

Si, selon l’un de ses proches, « Laurent Gbagbo veut avant tout laver son honneur et se bat pour cela, pas pour être élu », Charles Blé Goudé, lui, mise sur un temps plus long. Le Cojep n’a pas participé aux élections locales de septembre 2023 et commence tout juste à se structurer. « On ne se présente pas à une élection seulement pour l’effet d’annonce, affirme son leader. Moi candidat, je veux gagner. Donc je m’organise étape par étape. » Sur la question de son inéligibilité, il estime qu’« une condamnation politique appelle une solution politique » et rappelle son dialogue avec le pouvoir.

« Je ne vais pas brûler la Côte d’Ivoire pour ma candidature, a-t-il promis. Je négocierai pour que mon nom soit réinscrit sur la liste électorale. » Pour l’heure, Charles Blé Goudé semble avant tout soucieux de se débarrasser de son costume de harangueur pour endosser celui d’un politicien respectable et présidentiable. Avec ou sans le soutien de Laurent Gbagbo.

Réutiliser ce contenu

source

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

0 Comments
scroll to top