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"Aide à mourir" : quelles conditions et restrictions prévoit le projet de loi ?

Présenté mercredi en Conseil des ministres, le projet de loi sur la fin de vie ouvre à de strictes conditions la possibilité d’un suicide assisté que le gouvernement préfère appeler « aide à mourir ». Jugé trop restrictif par certains, dangereux par d’autres, le texte sera débattu en première lecture à l’Assemblée nationale fin mai.

Grand chantier sociétal du second quinquennat d’Emmanuel Macron, le projet de loi sur la fin de vie a été présenté mercredi 10 avril en Conseil des ministres avant un passage en première lecture à l’Assemblée nationale à partir du 27 mai.

Après des mois de tergiversations au sein de l’exécutif, le texte ouvre notamment la possibilité d’une assistance au suicide à de strictes conditions. Des mesures qui font débat depuis plusieurs années, relancées par des cas médiatisés comme ceux de Vincent Lambert ou d’Alain Cocq.

En janvier 2023, J.J., septuagénaire atteinte d’un cancer agressif et incurable, s’était adressée à Emmanuel Macron dans une lettre ouverte avant de se rendre à l’étranger pour y être euthanasiée. « Si les Français continuent à aller à l’étranger [pour mourir], c’est bien parce que la législation française ne leur permet pas de trouver une réponse à leurs souffrances : le libre choix de leur fin de vie, une fin de vie digne, humaine », écrivait-elle.

Présenté par la ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités Catherine Vautrin, le projet de loi dont débattront les députés français est, selon l’exécutif, « une réponse éthique à des besoins d’accompagnement des malades et à des souffrances inapaisables. Un projet de solidarité avec l’idée de créer un espace qui n’est pas un droit nouveau ni une liberté, mais un espace qui est un équilibre entre le respect et l’autonomie de la personne. »

En l’état actuel du droit, la France autorise la sédation profonde, mais l’euthanasie active et le suicide médicalement assisté demeurent illégaux, interdictions qui poussent des patients à se rendre à l’étranger pour mourir, dans des pays où ces pratiques sont légales, ou au moins tolérées.

Le projet de loi présenté mercredi – qui préfère le terme d' »aide à mourir » à ceux d’euthanasie et de suicide assisté – ouvre notamment la possibilité pour un patient de demander l’administration d’une substance létale.

L’euthanasie active consiste, pour un médecin, à pratiquer un acte qui précipite la mort d’un patient à sa demande (ou à la demande d’un proche s’il ne peut pas s’exprimer). Un médecin ou un tiers va par exemple injecter une substance entraînant directement la mort du patient.

L’euthanasie passive ou indirecte consiste à l’arrêt, sur demande du patient, des soins ou traitements qui le maintiennent en vie.

Le suicide médicalement assisté consiste, pour un médecin, à prescrire les médicaments qui permettraient au patient qui le demande de se donner la mort. La substance létale doit être prise par la personne malade elle-même, sinon il s’agit d’une euthanasie active.

« Aide à mourir » : des conditions strictes

Grande nouveauté de ce texte par rapport aux lois précédentes : la France envisage d’autoriser certains patients à demander à un médecin d’être aidés à mourir.

« La sédation profonde et continue [telle que prévue par la loi Claeys-Leonetti de 2016, NDLR], tout le monde sait qu’elle a pour objectif d’aller vers la mort. Là, la différence, c’est que le patient, après avis médical, va pouvoir bénéficier d’un produit létal qui est un effet beaucoup plus rapide », explique Catherine Vautrin mercredi à la sortie du Conseil des ministres. « C’est concrètement un pas supplémentaire qui est fait et qui est important », poursuit-elle.

Dans les termes, le texte n’évoque qu’une « aide à mourir ». Dans les faits, il s’agit bien d’assister la personne à se donner la mort (suicide assisté), voire d’accomplir pour elle le geste fatal si elle en est incapable (euthanasie).

« L’aide à mourir consiste en l’administration d’une substance létale, effectuée par la personne elle-même ou, lorsque celle-ci n’est pas en mesure physiquement d’y procéder, par un médecin, un infirmier ou une personne volontaire qu’elle désigne », résume le texte.

Néanmoins, cette assistance ne pourra être accordée qu’à plusieurs conditions :

  • Le patient devra tout d’abord être atteint d’une pathologie incurable qui menace ses jours « à court terme (quelques jours ou quelques semaines, selon la définition de la Haute autorité de santé, NDLR) ou moyen terme (six mois à un an) ».

Mais cette formulation, jugée trop floue, est l’objet de critiques de spécialistes de la fin de vie. L’interprétation est alors renvoyée aux soignants, sans qu’il ne soit exclu que les parlementaires précisent les critères ;

  • Le patient devra également être parfaitement en mesure d’exprimer sa volonté.

Ce critère exclut donc les malades d’Alzheimer ou d’autres démences, même s’ils ont fait part de leur choix avant que leurs capacités mentales ne se dégradent ;

  • Les souffrances, aussi bien physiques que psychologiques, devront être « insupportables et réfractaires aux traitements » ;

     

  • Le patient devra être majeur et français, ou habiter de longue date dans le pays.

« Enfin on a un texte », réagissait, mardi sur le plateau de Quotidien, Jonathan Denis, président de l’Association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD). « Mais si les parlementaires votent ce projet de loi tel qu’il est aujourd’hui, on ne répondrait pas à la demande de Vincent Lambert », poursuit-il, évoquant le critère de pronostic vital engagé « à court ou moyen terme » retenu par l’exécutif.

Infirmier en psychiatrie devenu tétraplégique après un accident de la route, Vincent Lambert est resté dans un état neurovégétatif durant 11 ans avant de mourir en 2020. « Aujourd’hui, de nombreuses personnes sont atteintes de maladies neuroévolutives ou neurodégénératives comme la sclérose en plaques ou la maladie de Charcot », poursuit Jonathan Denis, estimant que le projet de loi, en l’état, est trop restrictif. « C’est à la personne qui est dans le lit de décider, pas à ceux qui sont autour. »

 

Le patient éligible aura « trois mois pour accomplir son geste »

Le patient qui souhaite mourir devra solliciter un médecin, qui proposera avant tout une prise en charge en soins palliatifs.

Mais si le malade maintient son choix, le médecin devra demander l’avis de deux personnes : un médecin de spécialité qui ne connaît pas le patient, et un soignant non médecin (infirmier), qui aura, lui, de préférence accompagné le patient.

Le premier médecin, qui pourra demander d’autres avis, aura ensuite 15 jours pour rendre son avis. C’est à lui seul qu’il reviendra de décider.

Le patient considéré comme éligible disposera ensuite de deux jours pour confirmer son choix. Il pourra alors « bénéficier d’une prescription pour le produit létal qui est valable trois mois », précise Catherine Vautrin. Il aura donc trois mois pour accomplir son geste, autrement une nouvelle expertise devra être effectuée.

La procédure est proche de ce celle appliquée en Belgique, où l’euthanasie est légale depuis 2002 et couramment pratiquée (près de 3 000 en 2022).

En France pourtant, le gouvernement se refuse à parler de suicide ou d’euthanasie. « On ne parle pas d’euthanasie parce que l’euthanasie, c’est donner la mort à quelqu’un avec ou sans consentement », estime Catherine Vautrin. « Or, dans ce texte, il y a absolument consentement car c’est le patient qui demande, et à tous les stades de la procédure on vérifie que le patient est bien à l’origine de la demande ».

« Sur le suicide assisté, ce n’est pas un suicide car la personne a besoin d’un avis médical qui lui donnera ou non accès à l’aide à mourir. Si l’avis est négatif, il n’y a pas de capacité à pouvoir demander l’aide à mourir. »

Suicide assisté et euthanasie : de nombreux pays européens ont déjà adopté des législations 

Alors que les sondages montrent qu’une majorité de Français sont favorables à l’euthanasie, la France tarde à légiférer sur la question, là où plusieurs de ses voisins européens ont d’ores et déjà – parfois depuis longtemps – légalisé l’euthanasie et le suicide assisté.

Les Pays-Bas sont le premier pays du monde à avoir légalisé l’euthanasie active en 2001. En avril 2023, le pays a franchi une nouvelle étape en autorisant l’euthanasie pour les enfants de moins de 12 ans qui souffrent de maladies incurables induisant une mort prochaine inévitable.

Leurs voisins belges ont, eux, encadré la pratique de l’euthanasie par une loi entrée en vigueur en 2002, et autorisent depuis 2014 l’euthanasie des mineurs dans certaines situations médicales sans issue. Le médecin doit pour cela s’assurer que le patient est capable de discernement lors de sa demande et que la pathologie dont il souffre est grave et incurable.

Concernant le suicide assisté, il est en Suisse encadré par des codes de déontologie médicale et pris en charge par des organisations comme l’association Exit qui a accompagné plus de 1 750 personnes dans la mort en 2023.

L’Italie a quant à elle dépénalisé en 2019 le suicide assisté dans le cas de patients maintenus en vie par des traitements, et atteints d’une pathologie irréversible source de souffrance physique et psychologique qu’ils estiment intolérable.

De son côté, l’Autriche a légalisé le suicide assisté fin 2021 pour les personnes atteintes d’une maladie grave ou incurable. Au Luxembourg, l’euthanasie est autorisée pour les majeurs depuis 2009.

Parmi les derniers à avoir légiféré en ce sens, l’Espagne a légalisé l’euthanasie en 2021. Quant au Portugal, la loi dépénalisant l’euthanasie active y a été promulguée en mai 2023. Celle-ci permet notamment l’euthanasie lorsque « le suicide médicalement assisté est impossible en raison d’une incapacité physique du patient ».

À lire aussiEspagne : la loi sur l’euthanasie, étendard du nouveau gouvernement de Pedro Sanchez

En France, de nombreuses réserves

En France, le débat sur la fin de vie a débuté en 1999 avec la loi visant à garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs, qui avait pour but de soulager la souffrance de patients avec un pronostic vital engagé à court ou moyen terme.

La dernière loi en date sur le sujet – la loi Claeys-Leonetti de 2016 – a quant à elle interdit l’obstination déraisonnable (acharnement thérapeutique) et entériné le rôle des directives anticipées et de la personne de confiance.

En 2021, le député Olivier Falorni avait été à l’initiative d’une proposition de loi « donnant le droit à une fin de vie libre et choisie ». L’examen du texte, qui défendait l’instauration d’une aide médicalisée à mourir, n’avait cependant pu aller à son terme faute de temps, face à un barrage d’amendements issus principalement des rangs de la droite.

Aujourd’hui, le projet de loi continue de se heurter à de nombreux adversaires exprimant un vif rejet face à ce qu’ils considèrent comme une dérive majeure. Parmi eux, les religieux – catholiques et musulmans –, mais aussi des soignants, notamment en soins palliatifs.

Selon ces derniers, il faudrait d’abord se préoccuper du développement de ces soins, encore peu disponibles en France, pour s’assurer que des patients ne réclament pas de mourir faute de trouver une prise en charge adaptée à leurs derniers jours.

Selon une étude de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap) parue mercredi dans La Croix, 80 % des professionnels adhérents « refuseraient de prescrire, fournir, préparer et/ou administrer un produit létal ».

« Les soignants qui sont en soins palliatifs, sont à 60-70 % contre une évolution, mais je pense qu’ils changeront quand la loi sera là », déclarait mardi sur Public Sénat le professeur Jean-François Delfraissy, président du Comité consultatif national d’éthique. « Mais si l’on regarde les autres médecins – réanimateurs, cardiologues, oncologues, urgentistes –, c’est l’inverse : ils sont à 60-70 % pour une évolution de la loi », poursuit-il. « On ne fait pas une loi sur la fin de vie contre le corps médical, mais on ne fait pas non plus une loi sur la fin de vie contre les citoyens ».


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