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CETA : tout comprendre à l’accord commercial controversé entre l’UE et le Canada avant un vote crucial au Sénat

Cinq ans après, revoilà le Comprehensive Economic and Trade Agreement (CETA). L’accord commercial controversé entre l’Union européenne (UE) et le Canada est de retour dans le débat public, porté par une double actualité : alors que, comme tous les cinq ans, les questions de commerce international s’invitent dans la campagne des élections européennes, le Sénat français doit se prononcer, jeudi 21 mars, sur la ratification du traité. En cas de vote négatif, l’avenir de l’accord serait sérieusement compromis.

Le CETA, c’est quoi ?

L’Accord économique et commercial global (AECG), plus connu sous son acronyme anglais CETA, est un traité de libre-échange entre l’UE et le Canada. Ce texte aride de 2 344 pages est difficile d’accès pour les non-spécialistes. Il prévoit essentiellement trois types de mesures :

  • une diminution des droits de douane, jusqu’alors appliqués à certains produits et services, pour stimuler leur circulation entre les deux blocs ;
  • une réduction des réglementations qui freinent indirectement le commerce (dites « barrières non tarifaires »), par une convergence progressive des normes et une élimination des mesures protectionnistes ;
  • un tribunal spécial accessible aux entreprises européennes qui investissent au Canada (et vice versa), censé les inciter à investir de part et d’autre de l’Atlantique.

Pourquoi en reparle-t-on maintenant ?

Le CETA, conclu en 2014, a traversé plusieurs années de turbulences avant de finalement recevoir l’accord des chefs d’Etat et des députés européens en 2017. Depuis, 95 % de ses mesures sont entrées en vigueur, à commencer par la réduction de droits de douane.

Cependant, l’histoire n’est pas terminée. Une partie des clauses de l’accord empiétant sur les compétences des Etats membres, leurs Parlements nationaux doivent être obligatoirement consultés avant son entrée en application définitive et complète. Or, sept ans plus tard, seuls dix-sept Parlements sur vingt-sept ont donné leur accord. Pour les dix autres, les gouvernements ont fait traîner le processus, probablement par crainte de se voir opposer un refus par leurs parlementaires.

C’est le cas de la France. Après avoir fait ratifier le CETA de justesse à l’Assemblée nationale à l’été 2019 – en ouvrant une fracture inédite dans la majorité présidentielle –, le gouvernement rechigne depuis cinq ans à renvoyer le texte au Sénat, où il risque un échec.

C’était compter sans les sénateurs communistes, qui ont profité de leur droit d’initiative pour imposer l’examen de cette question le 21 mars, lors de leur « niche parlementaire ». Une façon de rappeler le gouvernement à sa promesse de 2021, lorsque le ministre délégué chargé du commerce extérieur et de l’attractivité, Franck Riester, avait assuré que « le Sénat sera[it] amené à se prononcer ».

Quel est l’enjeu du vote ?

Si une majorité de sénateurs rejettent le CETA le 21 mars, le traité sera renvoyé aux députés pour un nouveau vote. Contrairement à 2019, les équilibres actuels de l’Assemblée nationale pourraient entraîner un vote négatif, enterrant définitivement la ratification du côté français. La Commission européenne suspendrait alors l’application provisoire de l’accord partout en Europe – signant probablement sa fin.

A l’inverse, si le Sénat se prononce en faveur du traité le 21 mars, il sera officiellement ratifié par la France. Resterait à obtenir l’accord des neuf Etats membres restants, pour lesquels la ratification est loin d’être acquise : ainsi, en Italie, le gouvernement d’extrême droite s’oppose clairement au traité, tandis qu’à Chypre, les députés l’ont déjà rejeté une première fois en 2020.

Si l’accord UE-Canada franchissait avec succès ce parcours d’obstacles parlementaire, il entrerait alors pleinement et définitivement en vigueur. Cela permettrait l’activation des derniers chapitres non appliqués du CETA, notamment le très décrié mécanisme d’arbitrage entreprises-Etat.

Pourquoi l’accord est-il controversé ?

Depuis dix ans, le CETA fait l’objet de débats enflammés entre ses défenseurs, qui parient sur ses retombées économiques, et ses opposants, qui brandissent les risques qu’il fait courir à l’agriculture européenne, à la santé et à l’environnement.

C’est le principal argument des pro-CETA : l’accord peut dynamiser le commerce transatlantique, en permettant aux entreprises européennes de conquérir de nouveaux marchés et de créer des emplois.

Le Monde

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Les premiers bilans montrent effectivement une hausse importante des échanges entre les deux blocs depuis 2017, de 37 % (+ 51 % pour les biens et + 10 % pour les services). Mais cette dynamique s’explique en grande partie par l’inflation, selon un rapport récent de l’Institut Veblen, une ONG écologiste de référence hostile au CETA, qui a montré qu’en volume, la hausse du commerce de biens était beaucoup plus limitée (+ 9 %).

La Commission européenne se réjouit par ailleurs d’une hausse de 12 % des emplois « soutenus par les exportations de l’Union vers le Canada ». Or, comme l’a souligné le rapport de l’Institut Veblen, ce chiffre est très peu fiable.

Les éleveurs bovins ont toujours fait partie des principaux opposants au CETA. Ils craignaient que la baisse des droits de douane sur l’importation de viande canadienne ne leur fasse une concurrence déloyale.

Mais pour l’instant, le « déferlement » annoncé n’a pas eu lieu. Très peu d’éleveurs canadiens ont décidé d’investir pour exporter sur le marché européen, aux normes sensiblement différentes. En 2023, ils n’ont exporté vers l’Europe que 1 400 de tonnes de bœuf, soit à peine 2 % du volume permis par le CETA. Pour la France, les chiffres sont insignifiants : seules 29 tonnes de bœuf canadien ont été importées en 2023. Mais certains craignent que la tendance s’inverse dans le futur, notamment si le marché asiatique se tarit : les Canadiens pourraient alors trouver un intérêt à investir dans des filières d’exportation vers l’Europe.

A l’inverse, l’élevage européen a déjà profité du CETA, en augmentant significativement ses exportations de bœuf vers le Canada, passées de 1 700 à 14 000 de tonnes en sept ans. Tout comme les producteurs de fromage européens, qui utilisent à plein leur nouveau quota d’exportation de 19 millions de tonnes (soit un peu plus de 1 % de leurs exportations mondiales).

Dès 2017, une commission d’experts avait alerté le gouvernement français sur le risque que le CETA facilite l’importation de produits agricoles canadiens ne respectant pas les normes sanitaires et environnementales européennes. En effet, l’accord ne comporte aucune « clause miroir » qui impose aux exportateurs canadiens de s’aligner sur les standards européens : ils ont donc toujours la possibilité de nourrir leurs bœufs avec certaines farines animales ou de leur administrer des antibiotiques.

Si certains traitements sont interdits (les hormones de croissance, la ractopamine, les organismes génétiquement modifiés), un audit mené par la Commission européenne en 2022, qui a pointé des « lacunes » dans la supervision de la filière du bœuf sans hormones, a réactivé le doute sur le sérieux des contrôles vétérinaires canadiens.

En 2017, les experts mandatés par le gouvernement français avaient estimé que l’impact du CETA sur l’environnement serait légèrement défavorable, en raison de l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre entraînée par la hausse des échanges commerciaux, et de l’absence d’engagements forts pour le climat dans l’accord pour la contrebalancer.

Selon l’Institut Veblen, cette prédiction s’est réalisée, avec une intensification des échanges de produits polluants, comme les engrais ou le pétrole issu des sables bitumineux.

  • Les tribunaux d’arbitrage

S’il entre pleinement en vigueur, le CETA instaurera une juridiction spéciale pour traiter les plaintes des entreprises canadiennes qui s’estiment lésées par les décisions de leur Etat d’accueil dans l’UE, et inversement. Ce système d’arbitrage, l’Investment Court System (ICS), a été pensé pour protéger les multinationales contre les expropriations. Mais il pourrait, selon ses détracteurs, être utilisé par les entreprises pour contester les législations sanitaires et environnementales défavorables à leurs intérêts.

Pour prévenir ce risque, l’UE a largement réformé le mécanisme initial et tenté de clarifier certains termes ambigus du traité. L’ICS pose toutefois encore des problèmes de neutralité et d’indépendance. Les associations écologistes considèrent qu’il fait peser une menace trop grande sur les actions des Etats pour le climat, faute d’inclure un véritable « veto climatique », qui empêcherait les litiges sur les questions environnementales.

Comprendre pourquoi Article réservé à nos abonnés CETA : le « veto climatique » n’en est pas vraiment un

Correction, le 18 mars à 15h55 : rectification d’une erreur d’unité sur les importations et exportations de bœuf.

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