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« La priorité n’est peut-être pas tant à la semaine de quatre jours qu’à l’instauration d’un vrai droit à la délibération sur le travail »

Le travail est devenu insoutenable pour une grande partie des salariés, cela ne fait plus guère débat. L’ouvrage collectif Que sait-on du travail (Seuil, 2023), rédigé par une soixantaine de spécialistes à l’initiative de Bruno Palier (et avec le soutien du « Monde »), en a établi un état des lieux précis et documenté.

Pour autant, le déni patronal et gouvernemental demeure. Contraindre les salariés à accepter les emplois tels qu’ils sont, plutôt que de changer le travail : c’est le but des durcissements successifs des règles de l’assurance-chômage ou des pressions sur les médecins, qui prescriraient « trop » d’arrêts de travail, sans oublier la réforme du revenu de solidarité active (RSA).

La semaine de quatre jours, dont Gabriel Attal a prôné l’expérimentation, semble un levier plus positif pour rendre le travail attractif. Mais faute de réduire sa durée, elle risque (comme la journée de douze heures à l’hôpital ou le télétravail pour les cadres) de déplacer le problème sans le résoudre, voire en l’exacerbant par une nouvelle intensification du travail.

La recherche l’a établi : c’est bien au cœur de l’activité, dans son organisation au quotidien, que se logent les causes du mal-être et des pathologies psychiques au travail. Modifier les horaires ne change rien, et pourrait même aggraver la perte de sens et l’éclatement des collectifs. En télétravail pour les uns, en horaires décalés ou en quatre jours pour les autres, quand les équipes pourront-elles se rencontrer et tisser la coopération nécessaire au travail bien fait ?

Ce n’est pas seulement la santé des salariés qui est en jeu, c’est aussi celle de la démocratie. Une longue lignée de chercheurs, initiée par l’économiste et philosophe John Stuart Mill et poursuivie par Carol Pateman, Georges Friedmann, Yves Clot ou Christophe Dejours, a montré pourquoi être soumis toute la journée à un travail répétitif et dénué d’autonomie ne prédispose pas à l’engagement citoyen hors du travail. Une étude confirme que, au-delà du diplôme ou de la profession, le manque d’autonomie au travail est un déterminant important de l’abstention à l’élection présidentielle de 2017 comme aux élections européennes de 2019 (« Le bras long du travail. Conditions de travail et comportements électoraux », Thomas Coutrot, document de travail n° 1-2024, IRES, 2024.)

Santé psychique et affects démocratiques

Plus encore : l’impossibilité de s’exprimer sur son travail, sur les difficultés qu’on y rencontre et les solutions qu’on pourrait proposer favorise clairement le vote pour l’extrême droite. Ainsi, dans les communes ayant privilégié le vote pour la liste de Jordan Bardella en 2019, la probabilité que les salariés disposent de temps collectifs organisés par leur manageur pour aborder des questions d’organisation ou de fonctionnement de leur unité de travail est de 20 % inférieure à la moyenne. Le vote Rassemblement national (RN) est également associé aux horaires atypiques (travail la nuit ou tôt le matin), ainsi qu’à la pénibilité physique, même à métier identique. La France qui trime et souffre au travail sans pouvoir le dire et sans espoir d’y changer quelque chose tend à se venger par, ou à se réfugier dans, le vote pour des candidats autoritaires. Ce n’est pas la seule raison de la montée du vote RN, mais c’en est une qu’on ne saurait ignorer et qu’il est possible de traiter.

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