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Les agriculteurs marocains portent plainte en Espagne après la destruction de plusieurs tonnes de marchandises

Une manifestation d’agriculteurs espagnols devant les bureaux du Parlement européen à Madrid, le 26 février 2024.

Entre le Maroc et l’Espagne, le dossier agricole prend une tournure judiciaire. La Confédération marocaine de l’agriculture et du développement rural (Comader) a déposé, lundi 4 mars, auprès du parquet provincial de Gérone, en Catalogne, une plainte contre X pour « dommages aux biens et contraintes » après le blocage et la destruction de marchandises originaires du royaume. La Comader, qui regroupe plusieurs centaines d’associations professionnelles marocaines, indique que c’est la première fois qu’elle engage une procédure de ce type dans un pays de l’Union européenne (UE).

Le dépôt de plainte intervient alors que les agriculteurs espagnols s’en sont pris ces dernières semaines, en Catalogne et en Andalousie, à de nombreuses cargaisons de fruits et légumes marocains, dont ils jugent la concurrence déloyale. L’action intentée par la Comader ne porte toutefois que sur une seule opération coup de poing, « très médiatisée », menée le 27 février près de Gérone. Cinq camions immatriculés au Maroc, qui transportaient une centaine de tonnes de tomates et de haricots verts, avaient été arrêtés par des agriculteurs espagnols, avant qu’une partie de leur chargement ne soit déversée sur la chaussée.

Sans estimer le préjudice matériel subi ce jour-là, la Comader se dit surtout inquiète pour l’image des produits agricoles marocains, qui seraient victimes, selon elle, d’une « hostilité croissante » et d’une « stigmatisation inédite ». Une situation qui pourrait avoir « des effets négatifs sur de futurs contrats d’exportation », redoute son président, Rachid Benali. Interrogé sur ses attentes au sujet de la plainte déposée en Espagne, ce dernier admet qu’« une condamnation, même symbolique, sera un signal important ».

Preuve qu’elle prend l’affaire très au sérieux, la confédération des agriculteurs marocains a fait appel au cabinet d’avocats madrilène Oliva-Ayala, une référence du barreau, qui a conseillé par le passé des personnalités de premier rang. Parmi elles, le prince et milliardaire saoudien, Al-Walid Ben Talal, l’ancien patron et président du Conseil italien, Silvio Berlusconi, ainsi que l’ancien dirigeant emblématique de la banque espagnole Santander, Emilio Botin.

« Campagnes de désinformation »

La France, où des camions marocains ont également été vidés de leur chargement, subira-t-elle le même sort que l’Espagne ? La Comader assure ne pas vouloir porter plainte contre des agriculteurs français. « Les dégâts ont été moins importants qu’en Espagne et nous entretenons des relations amicales avec la FNSEA [Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles] », glissent plusieurs professionnels marocains. Rachid Benali prévoit cependant un échange « franc et direct » avec son président, Arnaud Rousseau.

Les deux hommes devaient s’entretenir ce mercredi 6 mars en fin de journée à Rabat, où le syndicaliste français est de passage – il assiste à une réunion du conseil d’administration de Lesieur Cristal, une filiale marocaine du groupe Avril, qu’il dirige, avant de participer à un séminaire sur les oléagineux. Le cas de plusieurs membres départementaux de la FNSEA devait être abordé au cours de cet échange : la Comader les accuse de mener des « campagnes de désinformation » contre les produits agricoles marocains.

Les normes phytosanitaires, que les manifestants espagnols et français jugent moins contraignantes au Maroc, sont au centre d’un débat où chaque camp se renvoie la balle. Les organisations professionnelles marocaines répètent que les produits qu’elles exportent « répondent aux exigences réglementaires des marchés de destination ». Et pointe la réduction des substances cancérogènes utilisées au Maroc, citant en particulier le thiaclopride, qui a été interdit dans le royaume dès 2021, un an après que l’UE l’a banni – la France a suspendu courant février l’importation des fruits et des légumes frais ayant fait l’objet d’un traitement avec cet insecticide.

Des intrants chimiques, dont l’UE a récemment décidé de ne pas renouveler l’approbation, restent néanmoins autorisés au Maroc, tels le clofentézine et le triflusulfuron-méthyl, deux pesticides suspectés d’être des perturbateurs endocriniens. L’Office national de sécurité sanitaire des produits alimentaires (Onssa) ne s’est pas encore prononcé sur la fin de leur utilisation.

« Relents protectionnistes »

Le contentieux entre les agriculteurs marocains et espagnols dépasse désormais le strict cadre commercial. Le porte-parole du gouvernement marocain a indiqué le 29 février que « les canaux diplomatiques ont été activés pour protéger les produits agricoles marocains et faciliter leur accès aux marchés de l’Union européenne ». Cette annonce fait suite à la sortie, très commentée, du ministre marocain des affaires étrangères.

Au cours du point de presse tenu le 26 février avec son homologue français, Stéphane Séjourné, Nasser Bourita avait fustigé « une géopolitique de la peur et du rejet ». « On s’attaque aux produits agricoles venant du Sud, mais on oublie que l’Union européenne dégage en matière agricole un excédent de près de 600 millions d’euros avec le Maroc », avait-il ajouté, soulignant que les « relents protectionnistes » qui montent en Europe ne relèvent pas d’un problème commercial mais « de perceptions politiques ». Des propos salués par les agriculteurs marocains, qui se disent à l’heure actuelle opposés à toute action « de représailles à l’égard des exportations agricoles espagnoles » vers le Maroc.

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