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« Dans le monde du libre-échange, une frite industrielle qui parcourt 10 000 kilomètres a plus de valeur qu’une pomme de terre locale »

Il est heureux que la mobilisation du monde agricole ait rouvert le dossier des effets des accords de libre-échange. Il n’y a là rien de surprenant tant la libéralisation et l’internationalisation progressives des marchés agricoles transforment le secteur : les échanges internationaux de produits agroalimentaires ont progressé de presque 7 % par an en termes réels entre 2001 et 2019, selon l’OCDE. La mondialisation agricole et alimentaire a progressé plus vite que l’économie mondiale.

Il est néanmoins frappant de constater que seuls les effets de ces accords sur le monde agricole français et européen ont obtenu un certain écho médiatique, générant un message à sens unique : il faudrait protéger l’agriculture européenne de la concurrence déloyale des agricultures non européennes. Comme si l’accord sur l’agriculture de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), l’entrée dans l’OMC de pays majeurs (telles la Chine en 2001 et la Russie en 2012) et l’accumulation des accords bilatéraux et régionaux entrés en vigueur ces trente dernières années avaient épargné les mondes agricoles des pays tiers, notamment ceux des pays du Sud. Comme si les exportations agricoles européennes n’avaient pas de conséquences sur les marchés agricoles des pays avec lesquels la France et l’UE commercent.

Il n’en est rien. Bien au contraire. L’expérience de l’accord de libre-échange entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique entré en vigueur en 1994 l’illustre remarquablement : au bout de dix années de mise en œuvre, le Mexique avait perdu 2 millions d’emplois dans le secteur agricole, que les 700 000 créations d’emplois dans le secteur manufacturier n’ont pas compensés, d’après l’économiste Sandra Polaski. Pertes d’emplois auxquelles s’ajoute une perte de souveraineté alimentaire : le Mexique, pays dont sont originaires des centaines de variétés de maïs, est devenu de plus en plus dépendant des importations de maïs venant des Etats-Unis, qui atteignent désormais l’équivalent d’environ 60 % de sa production nationale.

Eviction des producteurs les moins compétitifs

Les accords de commerce que l’UE a négociés et les exportations européennes contribuent eux aussi à déstabiliser des filières alimentaires, fragilisant certaines formes d’agriculture vivrière et la sécurité alimentaire de plusieurs pays du Sud. L’exemple est documenté et archi connu mais mérite d’être répété : les exportations de découpes de volaille congelées, non consommées en Europe, vers les pays africains, à des prix bradés, ont déstabilisé de nombreux marchés avicoles, comme au Sénégal, laissant exsangues les systèmes productifs locaux. Au point que les besoins locaux sont désormais là aussi dépendants des importations et des fluctuations des marchés mondiaux.

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