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« Pour en finir avec la démocratie participative » : écouter en priorité les « inaudibles »

« Faut-il en finir avec la démocratie participative ? », s’interrogeaient Manon Loisel et Nicolas Rio dans une tribune publiée en 2022 sur le site d’information Médiacités. Un peu plus d’un an plus tard, le point d’interrogation a disparu sur la couverture de l’ouvrage (Pour en finir avec la démocratie participative, Textuel, 192 pages, 18,90 euros) qui prolonge leur réflexion. Les deux auteurs, enseignants et cofondateurs du cabinet de conseil Partie prenante, qui accompagne les collectivités sur les questions de gouvernance, livrent un état des lieux critique d’un écosystème devenu un marché, qu’ils connaissent de l’intérieur.

Que lui reprochent-ils ? D’abord de ne pas résoudre la crise de défiance qui mine la démocratie représentative et, plus grave, d’en « accentuer les travers », alors que la multiplication des outils à l’échelle locale ou nationale – budgets participatifs, réunions publiques, conventions citoyennes… –, s’accompagne souvent d’une centralisation du pouvoir. Ils dénoncent des consultations organisées le plus tard possible, quand les décisions sont déjà prises, des conseils citoyens dont le nombre des participants et le format focalisent l’attention jusqu’à en devenir les seules finalités. Autant de dispositifs qui ne parviennent pas à jouer le rôle de contre-pouvoir puisque le « pouvoir exécutif en définit le cadre et la commande ».

« Neutralisation décisionnelle »

Ces critiques s’inscrivent dans la continuité des nombreux travaux sur la « tentation de l’instrumentalisation », identifiée par le politiste Loïc Blondiaux (Le Nouvel Esprit de la démocratie. Actualité de la démocratie participative, « La République des idées », Seuil, 2008), ou sur l’inefficacité de l’enquête publique dénoncée par l’historien Frédéric Graber (Inutilité publique. Histoire d’une culture politique française, Amsterdam, 2022). Plus récemment, les politistes Guillaume Gourgues et Alice Mazeaud ont sévèrement épinglé une « participation d’Etat » sous contrôle (Revue française de science politique, 2022/5, vol. 72), en montrant que la « neutralisation décisionnelle » des dispositifs participatifs en France, notamment du grand débat et de la convention citoyenne pour le climat, ne relève pas du mésusage : elle est au contraire l’une des conditions de leur succès auprès des responsables politiques.

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Faut-il renoncer pour autant ? Non, affirment Manon Loisel et Nicolas Rio, mais il est urgent de s’y prendre autrement. Plutôt que de « multiplier des instances participatives condamnées à rester à la marge », les deux auteurs proposent d’écouter « en priorité » les « inaudibles », en premier lieu les abstentionnistes. Non plus à travers des sondages, mais en allant chercher leurs témoignages à la façon dont on recueille les avis d’experts. Ils suggèrent également de composer les assemblées non plus seulement d’élus, mais aussi de citoyens tirés au sort, dont la proportion serait équivalente au poids de l’abstention lors du scrutin. Les pages qu’ils consacrent à ces propositions sont sans doute celles par lesquelles l’essai se distingue, même si de tels changements, de l’aveu même des auteurs, relèvent largement de l’utopie.

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