Close

« Si la fragmentation de l’économie mondiale se poursuit, les tensions entre grandes puissances s’intensifieront inévitablement »

Au cours des trois dernières années, la pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine ont mis en évidence les vulnérabilités découlant d’une profonde intégration économique mondiale. Aujourd’hui, les gouvernements et les entreprises du monde entier accordent une grande importance au raccourcissement des chaînes d’approvisionnement, à la reconstitution des capacités de production nationales et à la diversification des fournisseurs. Ces réponses sont motivées par des considérations pragmatiques de gestion des risques, mais aussi par un objectif d’autosuffisance économique. Mais cette aspiration menace de faire dérailler une restructuration durable de l’économie mondiale.

Lire aussi l’enquête : Article réservé à nos abonnés Pourquoi la mondialisation devient un problème après avoir été la solution

Dans son discours sur l’état de l’Union de 2022, le président américain Joe Biden a promis de créer une économie dans laquelle « tout, depuis le pont d’un porte-avions jusqu’à l’acier des glissières de sécurité des autoroutes, est fabriqué en Amérique, du début à la fin. Tout ». Ces engagements ont été cristallisés par des lois (CHIPS and Science, Inflation Reduction Act), qui ont offert des subventions et des allègements fiscaux considérables à la fabrication nationale. L’administration Biden s’est également emparée du concept de « friendshoring », qui représente une sorte d’autosuffisance régionale fondée sur des arguments normatifs et de sécurité nationale. En réponse, le président Emmanuel Macron a proposé que l’Union européenne poursuive sa propre stratégie « made in Europe ». Ce repli sur les productions domestiques ne s’est pas limité aux économies avancées. Le premier ministre indien, Narendra Modi, s’est également engagé à créer une « Inde autonome ». Avant même que la pandémie n’éclate, la quête d’autonomie de la Chine était déjà bien engagée, le président Xi Jinping ayant ressuscité en 2018 un slogan de Mao Zedong (1893-1976), « la régénération par ses propres efforts ».

L’autosuffisance diffère du protectionnisme en ceci que l’objectif énoncé n’est pas de protéger des entreprises ou des secteurs spécifiques, mais de renforcer la résilience nationale dans un monde moins sûr. En tant que stratégie défensive, tournée vers l’intérieur, plutôt que stratégie de punition, tournée vers l’extérieur, elle semble bénigne, voire sensée. Mais elle n’en demeure pas moins une illusion. Même si l’autosuffisance est une réponse compréhensible à un monde qui s’éloigne de l’ouverture économique, elle risque d’alimenter une instabilité systémique encore plus grande.

Développer les capacités nationales

Les tendances autarciques actuelles sont un symptôme de la disparition de la Pax Americana. L’intensification de la rivalité entre les Etats-Unis et la Chine ainsi que le fossé grandissant entre les régimes démocratiques et autoritaires ont de plus en plus compromis la capacité de l’Amérique à maintenir ouverte l’économie de marché mondiale. Or, un hégémon fiable qui fait respecter les règles mondiales et fournit des biens publics mondiaux est une condition préalable au maintien de l’ouverture des marchés internationaux. Lorsque la puissance prédominante n’a plus les moyens ou la volonté de jouer ce rôle, les marchés deviennent soudainement inaccessibles. Elle recourra en effet au protectionnisme pour contenir les nouveaux concurrents et préserver son propre statut mondial, tout en réduisant ses engagements internationaux. En réponse, de nouveaux challengeurs, comme la Chine aujourd’hui, saperont le système international en contestant sa légitimité.

Il vous reste 50% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

source

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

0 Comments
scroll to top