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Jean Malaurie, géographe, explorateur du Grand Nord et éditeur, est mort

Jean Malaurie à Dieppe, le 28 juillet 2018.

Un jour de 1951, Jean Malaurie vit « basculer un monde de l’âge de pierre à l’âge atomique ». Il venait de déboucher, avec ses « camarades » inuits, au sommet d’un glacier, dans le nord-ouest du Groenland. Un des camarades lui toucha l’épaule. « Regarde, étranger ! » En contrebas, dans la plaine de Thulé, s’étendait « une cité de hangars et de tentes, de tôles et d’aluminium, éblouissante au soleil dans la fumée et la poussière », racontait-il au Monde en 1993. L’armée américaine déployait les installations d’une base militaire dans ce lieu qui fut l’un des plus déserts au monde, à 1 500 kilomètres du pôle Nord.

De ce « spectacle inouï », « shakespearien », qu’il n’a cessé d’évoquer dans des livres, des documentaires, des entretiens, procède une grande part, sans doute la plus essentielle, de cette longue aventure qu’a été la vie du géographe, explorateur et éditeur Jean Malaurie, mort à Dieppe (Seine-Maritime), à l’âge de 101 ans, comme l’a annoncé son fils, Guillaume, lundi 5 février. Ne serait-ce que parce qu’elle l’a poussé à écrire un récit à succès, Les Derniers Rois de Thulé (Plon, 1955), où il raconte les mois qu’il venait de passer, seul, au milieu des Inuits et proteste contre le « choc colonialiste » que représentait le surgissement des militaires américains. Ce livre était le premier d’une collection – aujourd’hui encore éditée par Plon – qui allait renouveler le regard et l’écriture anthropologiques : « Terre humaine », que Jean Malaurie a dirigée jusqu’en 2015.

Il était né le 22 décembre 1922 à Mayence, en Allemagne, où son père, agrégé d’histoire, œuvrait au rapprochement entre Allemands et Français dans le cadre de l’occupation française de la Rhénanie. Au retour de la famille en France quand il a 8 ans, il reste imprégné par l’atmosphère féerique des rives du Rhin, les châteaux, les forêts, les légendes, les chants qui ont bercé sa petite enfance. Premier ailleurs, propice à la rêverie, à l’éveil d’un désir de départ qui l’animera sa vie durant. Son père meurt en 1939. Jean Malaurie a 17 ans. Il en a 20, en 1943, quand, élève de classe préparatoire à Paris, il est mobilisé pour le service du travail obligatoire, auquel il se dérobe. A la fin de la guerre, sa mère meurt à son tour. Il est seul. Sa vie commence. En d’autres termes : il peut enfin sortir de la rêverie, et partir pour de bon. Il ne reviendra plus guère.

« Ethno-historien » du Grand Nord

C’est à l’Institut de géographie de Paris, où il a repris ses études à la Libération, que l’occasion lui en est offerte. Les Expéditions polaires françaises, dirigées par Paul-Emile Victor, ont besoin d’un géographe. Il les rejoint au Groenland pour deux missions, en 1948 et 1949, en tant qu’attaché de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), avant de partir, en solitaire, dans le désert du Hoggar, en Algérie, en 1949 et 1950. Géomorphologue, c’est-à-dire spécialiste des formes du relief terrestre, il étudie les pierres, les éboulis, spécialement en milieu extrême – très chaud, ou très froid, comme au Groenland, où il retourne en 1950-1951, en solitaire, avec quelques subsides du CNRS.

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