Close

Colère des agriculteurs : « Dans ses habits d’après-guerre, l’agrarisme prend acte du passage de la condition paysanne à celle de métier de producteur »

18 mars 1945 : tandis que la guerre se poursuit au-delà du Rhin, s’achève à l’Hôtel de ville de Paris le premier congrès officiel de la Confédération générale de l’agriculture, née dans les maquis. Congrès où s’invente un syndicat exclusivement composé d’agriculteurs, sans les rentiers de la terre et autres châtelains qui monopolisaient la représentation agricole avant-guerre : la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA). En son sein se fondent deux courants que tout oppose : celui de la droite rurale, catholique, protectionniste, souvent antirépublicaine, dirigé par les céréaliers ; celui des fermiers, métayers et petits propriétaires de la polyculture et de l’élevage, catholiques sociaux, voire socialistes, parfois communistes.

Le premier a construit depuis la fin du XIXe siècle un réseau tentaculaire de syndicats professionnels locaux, où l’agriculteur peut acheter des intrants, souscrire une assurance, accéder à un service d’entraide, à des prêts financiers, à un organisme de protection sociale pour ses salariés… embryons de ce qui deviendra un réseau bancaire (le Crédit mutuel), une caisse de sécurité sociale (MSA), un système éducatif (écoles d’agriculture). Ce réseau est renforcé par des associations spécialisées par production (blé, lait, vin, pomme de terre…). L’ensemble est sous le contrôle du syndicat, qui maîtrise aussi le développement rural, avec le réseau des chambres d’agriculture et la vulgarisation du progrès technique avec les concours agricoles.

Le second courant a à son actif la réussite économique des coopératives, un réseau bancaire (le Crédit agricole), le lien avec les syndicats ouvriers agricoles et l’espoir de construire un monde meilleur au sortir de la guerre. Mais son réseau syndical est moins dense que celui de son rival.

L’aspiration à tourner la page de la guerre et l’impérieuse nécessité de nourrir le pays – les tickets de rationnement perdureront jusqu’en 1949 – ne suffisent toutefois pas à unir cet attelage d’intérêts divergents entre gros et petits paysans. Ce qui unit les frères ennemis, c’est l’agrarisme, une idéologie diffusée par la Société des agriculteurs de France (SAF, devenue Agridées en 2018), qui unit dans une même communauté fermiers, ouvriers agricoles et grands propriétaires fonciers pour résister à la ville, lieu de perdition des valeurs morales qui, juste bonne à acheter les produits agricoles, ne devrait pas avoir son mot à dire dans l’organisation économique de la campagne. Au-delà de leurs divergences, les tenants de l’agrarisme voient l’avenir se bâtir autour de la ferme familiale et de sa propriété, pierre angulaire de l’ordre des champs et de la « communauté paysanne ».

Il vous reste 65% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

source

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

0 Comments
scroll to top