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La mort d’Alain Vernholes, ancien journaliste économique au « Monde »

Alain Vernholes, en 2020.

Grande plume du Monde, où il a passé la quasi-totalité de sa carrière de journaliste économique, Alain Vernholes est mort mardi 16 janvier dans sa maison familiale de Rémalard (Orne), à l’âge de 88 ans. Pour celles et ceux qui l’ont côtoyé au sein du journal, où il a passé plus de trois décennies à analyser et commenter la macro-économie, mais aussi pour ses interlocuteurs, qu’ils soient ministres, conjoncturistes ou simplement des pairs, il avait abordé tous les sujets avec rigueur en défendant l’idée de l’indépendance de la presse.

Fils d’un médecin de campagne et quatrième de cinq enfants, Alain Vernholes est né le 15 novembre 1935 dans la maison où il a passé son enfance, sur ces terres du Perche qu’il aimait parcourir. Après des études en philosophie, puis en économie, doublées du diplôme du Centre de formation des journalistes, il commence par travailler deux ans aux Echos avant d’intégrer, en 1962, le service économique du Monde, alors dirigé par Hubert Beuve-Méry.

Journaliste chargé notamment des finances publiques et de la fiscalité, il sera par la suite nommé chef du département de macro-économie. Défenseur acharné de la spécialisation des « rubricards », par opposition au journalisme « saute-mouton » consistant à passer d’une rubrique à l’autre, il approfondit par la pratique une parfaite connaissance de ses domaines, ce qui lui vaut notoriété et respect de la profession.

Pédagogie

C’est durant cette longue période passée à expertiser avec acuité les comptes de la nation et à en traquer les dérives éventuelles que lui sera attribué par ses collègues le titre de « pape du budget », qu’il récusait en souriant. Le fait est que chaque année, à l’automne, lorsque le ministre du budget ou celui de l’économie conviait en fin d’après-midi les journalistes pour présenter et commenter les dépenses et recettes de l’Etat français, il n’était pas rare de voir arriver les confrères et consœurs (peu nombreuses à l’époque) avec, sous le bras, l’édition du « journal du soir », tout juste sortie des rotatives. On y trouvait, en bonne place, les trois ou quatre pages rédigées par Alain Vernholes décrivant en primeur et en détail le contenu du budget dont le locataire de Rivoli aurait bien voulu faire l’annonce lui-même… Un rituel qui, finalement, amusait plus qu’il n’agaçait.

La reconnaissance de ses compétences mais aussi de son esprit d’indépendance avait conduit Alain Vernholes (qui avait refusé de recevoir la Légion d’honneur sur proposition d’un ministre), à être choisi par ses pairs pour présider pendant plusieurs années l’Association des journalistes économiques et financiers (AJEF). Avec le concours de son collègue Gérard Horny, il créa en 2005 les Amphis de l’AJEF, qui ont accueilli, pendant onze ans, quantité de personnalités du monde économique, politique ou universitaire comme Jean Tirole, Daniel Cohen, Marylise Léon, Marcel Gauchet ou Mario Monti. L’idée de cette université du soir était de commenter, pour des publics variés, les grands enjeux économiques et philosophiques du moment. Un intense travail de pédagogie qu’il poursuivit à la suite de son départ du Monde, en 1996, à l’âge de 61 ans.

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Après un passage à l’Agefi, il rejoint, en 1998, le journal La Croix. Dans sa chronique hebdomadaire, qu’il tiendra jusqu’en 2015, il aborde naturellement la question économique mais aussi des sujets de société qui lui tiennent à cœur, avec un éclairage philosophique. Il collabore aussi à la revue Sociétal et publie des articles dans Commentaire, notamment « Presse écrite : le jardin des tentations », en 2003.

Un « orchestre rouge » dans le Perche

Alain Vernholes aura consacré une large partie de sa vie à cette activité journalistique qu’il aimait tant. Mais il est une autre passion, moins connue, qui l’a conduit à passer autant de belles années, cette fois dans les arbres, en créant de toutes pièces le magnifique Arboretum de Boiscorde, sur ses terres natales de Rémalard. C’est lors d’un reportage économique pour Le Monde au Québec et dans le nord-est des Etats-Unis, au moment de l’été indien, que l’émerveillement s’était produit.

Mais le journaliste ne s’est pas contenté d’admirer : après plusieurs voyages en famille, il n’eut de cesse de reproduire à demeure le flamboiement des couleurs automnales qui l’avait séduit. De là était né cet « orchestre rouge » fait d’érables à sucre canadiens bien sûr, mais aussi de chênes peu connus et de charmes, de carya jaune d’or et, peu connus en Europe, de Nyssa sylvatica, le tupélo des Indiens. Côté oriental, on y trouve aussi le chêne d’Arménie, des pistachiers de Chine, de nombreux érables du Japon ou des Gingko biloba. Des sujets rares en France qui s’harmonisent avec le paysage du Perche et leurs cousins européens.

Si cet engouement coïncida avec un renouveau du goût français pour les jardins, il se doublait d’une curiosité et d’un apprentissage propres au journaliste qu’il n’a jamais cessé d’être. Dès 1982, Alain Vernholes a su embarquer dans cette ambitieuse aventure son épouse, Michèle Champenois – également journaliste au Monde, où ils s’étaient rencontrés en 1968, attirée, elle, par les villes et l’architecture – ainsi que leur fils Antoine, qui a pris le relais. En quarante ans, tout en devenant de véritables connaisseurs, ils ont réussi à transformer les 4 hectares du début en un paysage varié et vallonné de près de 20 hectares aujourd’hui, où plusieurs centaines d’arbres devenus grands s’offrent aux visiteurs, scolaires, amateurs ou passionnés de botanique.

L’Arboretum de Boiscorde a ainsi permis à Alain Vernholes de réaliser l’œuvre de sa seconde vie, une passion qu’il avait érigée en véritable mission d’intérêt général, tandis que l’écologie et l’amour de la nature allaient devenir une priorité pour tous.

[Par son expertise et son indépendance, Alain Vernholes faisait partie de ces grandes figures de notre maison qui ont contribué à asseoir la réputation du journalisme économique au Monde. Nous adressons nos plus sincères condoléances, et des pensées particulières à son épouse, notre consœur du Monde, Michèle Champenois, leur fils Antoine, leur famille et leurs proches, et celles et ceux qui ont eu le plaisir de le côtoyer au journal. J. Fe.]

Alain Vernholes en quelques dates

15 novembre 1935 Naissance à Rémalard (Orne)

1962 Entre au journal « Le Monde »

1982 Création de l’Arboretum de Boiscorde

1996 Quitte « Le Monde »

16 janvier 2024 Mort à Rémalard

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