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Affaire Amélie Oudéa-Castéra : quelles règles et quelles spécificités pour l’enseignement privé en France ?

Les propos de la ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse, des sports et des Jeux olympiques et paralympiques, Amélie Oudéa-Castéra, justifiant la scolarisation de ses enfants dans le collège privé Stanislas (6arrondissement de Paris), ont provoqué l’ire du monde enseignant.

Lors de son premier déplacement après sa nomination Rue de Grenelle, vendredi 12 janvier, la ministre avait justifié le choix du privé pour ses enfants, dans l’établissement huppé catholique, en pointant le non-remplacement des enseignants dans le public. Accusée de « séparatisme scolaire », la ministre dit avoir présenté « ses excuses » à l’école publique d’où elle avait retiré son fils, et accepté de se « déporter des actes relatifs » à Stanislas.

Au-delà de la polémique, cette affaire a remis en lumière le débat entre le public et le privé, et les dérives de certaines institutions privées (absence de mixité sociale, manque de contrôle de l’Etat, dérive conservatrice, etc.) dont l’école Stanislas est l’archétype, selon un rapport accablant de l’inspection générale mené en 2023.

Mais que désigne-t-on par « enseignement privé » dans lequel sont scolarisés deux millions des douze millions d’élèves en France ? Eclairage en quatre points.

Qu’est-ce que l’enseignement privé ?

En France, la liberté d’enseignement fait partie des fondamentaux de la République. La loi impose une obligation d’instruction : tous les enfants doivent en bénéficier dans un établissement scolaire ou dans leur famille. Apanage de l’Eglise pendant des siècles, l’enseignement devient peu à peu public après la Révolution française, Napoléon et la République. Il devient laïc à la fin du XIXe siècle.

Confronté à des difficultés financières après la seconde guerre mondiale, l’enseignement privé s’inquiète d’une perte de vitesse alors que les établissements accueillaient 15 % des effectifs de l’école primaire et 40 % du second degré.

Le 31 décembre 1959, la loi sur les rapports entre l’Etat et les établissements d’enseignement privés, dite « loi Debré », encadre juridiquement cet enseignement. Elle instaure une contractualisation des établissements privés avec l’Etat. Une aide est accordée aux institutions qui gardent leur « caractère propre » en contrepartie d’un certain nombre d’engagements comme le respect des programmes définis par l’éducation nationale et la garantie de l’accueil des élèves sans distinction d’origine, de croyance et d’opinion. D’autres dispositions législatives, telle que la loi dite « Gatel » votée en 2018 qui vise à mieux encadrer les écoles privées hors contrat, ont depuis complété cette loi.

Trois types d’établissements d’enseignement privés

Contrairement aux établissements publics qui doivent accueillir les élèves de leur secteur géographique, les écoles privées peuvent choisir leurs élèves, et fixent des frais annexes de l’enseignement (cantine, étude, etc.) qui varient selon le type et le lieu de l’établissement. On distingue trois types d’établissements :

  • Les établissements privés sous contrat d’association

Ils sont contractuellement liés à l’Etat et représentent la majorité (plus de neuf sur dix) des établissements privés. 96 % d’entre eux relèvent de l’enseignement catholique, avec une implantation très forte à l’Ouest (40 % des effectifs de l’académie de Rennes, 38 % pour l’académie de Nantes).

Lorsqu’il a conclu un contrat avec l’État, l’école, le collège, ou le lycée privé dispense les enseignements conformes aux règles et aux programmes de ministère de l’éducation nationale. Les 142 000 professeurs du privé sont des « maîtres contractuels » payés et employés par l’Etat. Recrutés par concours comme dans le public, ils sont rémunérés comme eux. Toutefois, ils ne disposent pas du statut de fonctionnaire.

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Les chefs d’établissements privés sous contrat sont plus autonomes et souples dans leur gestion, et dotés de pouvoirs plus étendus que leurs homologues du public. « Certains établissements ont choisi de recruter moins d’infirmiers pour pouvoir recruter un psychologue », note un rapport de la Cour des comptes publié en juin 2023. « Contrairement aux responsables des établissements publics, les chefs d’établissements de l’enseignement privé ne sont pas tenus de signaler aux rectorats tous les problèmes graves ou incidents survenus dans l’établissement », précise l’institution.

  • Les établissements privés sous contrat simple

Ce type de contractualisation ne concerne que les établissements du premier degré et concerne moins de 5 % des écoles. Les professeurs sont soumis aux mêmes conditions de formation et de rémunération que leurs homologues du public (sans être fonctionnaires). Ces écoles doivent justifier de cinq années d’existence pour demander à être liées à l’Etat contractuellement.

Le contrat simple permet à l’école d’apporter des adaptations aux programmes de l’enseignement public, en fonction du profil des élèves scolarisés (dans les instituts médico-éducatifs qui accueillent des enfants handicapés, par exemple). Les communes ont la possibilité de verser à ces établissements un forfait communal mais ne sont pas tenues de le faire.

  • Les établissements privés hors contrat

Les établissements hors contrats scolarisaient, à la rentrée 2022, près de 82 500 élèves dans près de deux mille établissements – contre moins de mille en 2012.

Ces établissements, allant du premier au second degré, n’ont pas signé d’accord de convention avec l’Etat, et ne reçoivent de fait aucune subvention de l’éducation nationale. Les familles qui souhaitent y scolariser leurs enfants doivent donc payer pour accéder à ces formations. Le chef d’établissement procède lui-même au recrutement des enseignants et ceux-ci sont rémunérés par l’établissement.

Ils ont une gestion autonome, mais doivent établir une déclaration d’ouverture auprès du rectorat. Ils sont libres du contenu et des horaires des enseignements dispensés. Les élèves doivent tout de même acquérir « le socle commun » de connaissances.

Comment sont subventionnés les établissements privés ?

Comme le résume la Cour des comptes, le « financement apporté par l’État (…) est prépondérant dans le modèle économique » des établissements privés sous contrats.

En 2021, le ministère de l’éducation nationale a dépensé 7,8 milliards d’euros pour les établissements sous contrat. Cet argent public finance à près de 90 % la rémunération des enseignants et certaines dépenses de fonctionnement (manuels scolaires, documents pédagogiques, des aides directes aux élèves, etc.).

Les établissements privés peuvent également bénéficier d’autres subventions. En 2021, 1 milliard d’euros ont été alloués par l’ensemble des autres ministères, 2,9 milliards par des collectivités territoriales et 9,3 millions par des administrations publiques. Selon le journal Libération, le collège Stanislas aurait par exemple reçu 487 000 euros de subventions de la région Ile-de-France pour la réfection de deux ascenseurs et d’une centrale d’air. Suite au rapport de l’Inspection générale faisant état de dérives dans ce collège, la mairie de Paris a annoncé suspendre ses subventions.

Quels contrôles l’Etat peut-il exercer ?

Tous les établissements privés sont soumis à des contrôles :

  • Les contrôles administratifs sont menés sous l’autorité du préfet et du recteur d’académie. Ils s’assurent que le directeur et les enseignants disposent des diplômes requis et vérifient que le fonctionnement de l’établissement respecte l’obligation scolaire, l’ordre public, la prévention sanitaire et sociale et la protection de l’enfance et de la jeunesse.
  • Les contrôles pédagogiques sont menés sous la direction du recteur d’académie. Il s’assure que les enseignements permettent aux enfants d’acquérir les connaissances du « socle commun » de compétences que tout élève doit maîtriser à 16 ans.

Les établissements hors contrat sont inspectés la première année et « d’autres contrôles peuvent être organisés par la suite, de manière inopinée ou non », comme l’explique le ministère de l’éducation sur son site.

Les établissements sous contrat avec l’Etat font l’objet de ces mêmes contrôles, mais de manière plus approfondie puisqu’ils doivent respecter les exigences pédagogiques prévues par leur contrat. Leurs enseignants sont évalués dans des conditions comparables à celles de leurs homologues du public. Le code de l’éducation autorise également le contrôle financier afin de vérifier la conformité de l’utilisation des deniers publics.

En cas de manquements et de non-respect du droit, une mise en demeure est envoyée au chef d’établissement. Si celui-ci ne remédie pas à ces manquements dans le délai fixé, le préfet peut prononcer, par arrêté motivé, la fermeture temporaire ou définitive de l’établissement ou des classes concernées. Les parents d’élèves sont alors mis en demeure de scolariser leurs enfants dans un autre établissement.

Malgré cet encadrement juridique, « ces contrôles ne sont pas ou peu exercés », comme le souligne la Cour des comptes dans son rapport :

  • le contrôle financier des établissements privés sous contrat « n’est pas mis en œuvre » ;
  • le contrôle pédagogique « est “exercé” de manière minimaliste » ;
  • le contrôle administratif « n’est mobilisé que ponctuellement lorsqu’un problème est signalé ».

La Cour des comptes pointe également un suivi « peu rigoureux » des contrats passés avec ces structures privées, « certains rectorats ne possédant pas ces documents sur la base desquels des sommes conséquentes sont pourtant versées ».

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