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« De la génération », d’Emilie Hache : généalogie de la religion de la « production »

La « production » n’a rien d’une évidence, mais constitue un paradigme propre à notre civilisation moderne qui s’est substitué à celui de « génération ». D’un côté, un monde créé par un principe extérieur, Dieu tout-puissant, où triomphe une approche instrumentale de l’environnement. De l’autre, un monde vernaculaire où la (re)génération de la vie est au cœur des pratiques, des mythologies et des rites. Cette intuition, Emilie Hache l’approfondit depuis plusieurs années, sans prévoir que cette « histoire de la culture » qu’est De la génération paraîtrait au moment où la question de la production polariserait la controverse du débat écologique.

La philosophe écoféministe s’inscrit dans une constellation de penseurs s’attaquant aux fondements de la modernité depuis la perspective de cultures extra-occidentales ou du vivant, dans le sillage pionnier du philosophe Bruno Latour (1947-2022) – dont elle est une disciple – et de l’anthropologue Philippe Descola. Face à ce mouvement s’élève depuis quelques mois une autre galaxie critique marquée par la tradition marxiste. Sur un ton polémique plus qu’académique, celle-ci brocarde des pensées accusées de noyer dans un exotisme inoffensif la centralité du capitalisme dans la crise écologique.

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Si De la génération hausse le débat à un niveau supérieur de densité en interrogeant les fondements du concept de production, le thème de cette « enquête » n’est pas inédit. Dans les dernières pages de son canonique Par-delà nature et culture (Gallimard, 2005), Philippe Descola l’effleurait déjà en soulignant sa mystification. L’agriculteur ne « produit » pas de blé, mais oriente un processus biologique ; une usine ne « produit » pas de voitures, mais transforme de la matière. Qualifier de tels processus de « production » permet à leurs protagonistes de s’approprier le fruit de la transformation. En proposant une généalogie de cette notion, Emilie Hache dénude donc un rouage décisif de notre condition contemporaine.

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La force de la maîtresse de conférences à l’université de Nanterre n’est pas de critiquer frontalement la production, mais de l’examiner depuis un autre paradigme, celui de la (re)génération. Toute sa réflexion s’articule autour d’une grande thèse d’ordre cosmologique : en pensant leur monde comme un engendrement perpétuel, les sociétés « païennes », comme la Grèce antique, ont mis en leur centre des cultes et des croyances orientés autour de la perpétuation de la vie. Le christianisme est alors intervenu comme un bouleversement radical, car, en considérant le cosmos comme déjà créé et en plaçant le salut dans une éternité hors du monde, il a fécondé une civilisation où allait régner une mentalité nouvelle.

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