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« L’Etat n’a rien à gagner au non-respect par le ministre de l’intérieur des décisions de justice »

En 2017, premier chef d’Etat français à se rendre à la Cour européenne des droits de l’homme pour y prononcer un discours, Emmanuel Macron affirmait que le terrorisme était le premier des défis rencontrés dans l’espace européen. Il entendait cependant lutter contre « dans le cadre de l’Etat de droit, et notamment sous le contrôle du juge ». En mai 2023, lors du quatrième sommet du Conseil de l’Europe, il défendait une « conception européenne de l’humanisme, fondée sur le droit et la liberté ».

Comment, dès lors, expliquer l’assourdissant silence qui règne au sommet de l’Etat, à peine quelques mois plus tard, face à un ministre de l’intérieur qui s’affranchit du respect des règles républicaines les plus fondamentales ?

Rappelons quelques faits. Un ressortissant ouzbek, considéré par Gérald Darmanin comme étant radicalisé, a été inscrit au fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste. Le 13 novembre 2023, le ministre a pris la décision de l’expulser. Cet homme ne se trouve donc plus en France.

Il n’aurait toutefois pas dû être éloigné : depuis mars 2022, il fait l’objet d’une mesure provisoire adoptée par la Cour européenne des droits de l’homme. Très rarement accordée, une telle mesure vise généralement à prévenir des traitements inhumains et dégradants en cas de renvoi d’une personne vers un Etat tiers, pendant la durée de la procédure devant la Cour. Le Conseil d’Etat a ordonné, le 7 décembre 2023, son retour en France, estimant que la décision de renvoi violait son droit à un recours juridictionnel effectif, garanti aussi bien par la Constitution que par la Convention européenne des droits de l’homme. Une fin de non‑recevoir inédite du ministre de l’intérieur conclut provisoirement l’affaire : « J’ai décidé de le renvoyer dans son pays (…), qu’importent les décisions des uns et des autres. »

Stratégie déstabilisatrice

Ce faisant, il viole la Constitution, à la fois parce qu’elle repose sur le principe de séparation des pouvoirs et qu’elle confère au droit international une autorité supérieure à la loi.

Face aux limites posées par le droit dont il tente de s’affranchir, il semble espérer des gains politiques supérieurs à l’indignation causée par son mépris de décisions juridictionnelles obligatoires. La stratégie ainsi affichée, dont rien n’interdit de penser qu’elle pourrait être déployée dans d’autres champs que la lutte contre le terrorisme, ne peut que s’avérer profondément déstabilisatrice pour l’ordre et la paix sociale, que le ministre doit veiller à préserver.

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