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Lutte anticorruption : l’exécutif ne peut être juge et partie

Alors que la défiance de nombre de citoyens envers les institutions et le personnel politique menace le fonctionnement de la démocratie, la lutte contre toutes les formes de corruption est un impératif de la vie publique. En 2013, un progrès majeur dans ce domaine essentiel a été enregistré, avec la loi permettant aux associations de lutte contre la corruption déclarées depuis cinq ans de se constituer partie civile dans les dossiers d’atteinte à la probité.

Compensant une faiblesse du système judiciaire français, où les procureurs, maîtres de l’ouverture de poursuites, dépendent hiérarchiquement du pouvoir exécutif, cette disposition confère à des entités privées, les associations, le pouvoir de provoquer l’ouverture d’une instruction par un juge, même si le parquet y est opposé, dans des affaires de corruption. Elles peuvent alors accéder aux dossiers, transmettre des documents et demander aux juges d’instruction d’entendre des témoins ou d’effectuer certains actes.

C’est ce pouvoir important que le gouvernement vient de retirer à Anticor, la plus importante des trois associations françaises − avec Sherpa et Transparency International − œuvrant dans ce domaine, en opposant, mardi 26 décembre, son refus implicite au renouvellement de l’agrément exigé par la loi de 2013. Cette décision, non motivée, clôt provisoirement un feuilleton complexe qui illustre à la fois les ambiguïtés du gouvernement et son agacement face à un groupe de militants et de juristes mobilisés pour lui « chercher des poux dans la tête », et les faiblesses d’Anticor, épinglé pour défaut de transparence et dérives internes.

Une « erreur de droit »

Alors que le premier ministre Jean Castex avait renouvelé en 2021 l’agrément dont bénéficie l’association depuis 2015, deux de ses militants en rupture de ban en ont obtenu l’annulation par le tribunal administratif en juin 2023 en remettant en cause le « caractère désintéressé et indépendant » d’Anticor. Ce jugement, motivé par une « erreur de droit » de Matignon, a été confirmé en appel en novembre, en dépit des observations favorables à Anticor déposées par Elisabeth Borne.

L’affaire se complique du fait que deux hauts responsables de l’exécutif, le garde des sceaux et la première ministre, étant chacun visé par une plainte d’Anticor, ont dû se déporter de la décision sur l’agrément. Le rôle de l’association dans plusieurs enquêtes ciblant des proches du chef de l’Etat − Alexandre Benalla pour ses contrats russes, et surtout le secrétaire général de l’Elysée, Alexis Kohler, mis en examen pour prise illégale d’intérêts − ne fait que renforcer le contexte de… conflit d’intérêts. Emmanuel Macron lui-même n’a pas caché son irritation, en accusant Anticor, en février sur France 2, de « faire durer les procédures », ajoutant : « Même si les gens à la fin ne sont pas condamnés, vous les foutez en l’air. »

Lire aussi l’enquête : Article réservé à nos abonnés Alexis Kohler, un secrétaire général de l’Elysée entre politique et affaires

Préjudiciable à la lutte contre la corruption, le retrait de l’agrément d’Anticor met en lumière l’incohérence du dispositif qui permet à l’exécutif de choisir quelle association peut ou non déclencher des enquêtes visant certains de ses membres. Injustifiable, cette situation de « juge et partie » jette le doute sur le sérieux de la lutte engagée. Il serait temps, comme le suggère une proposition de loi ainsi que l’Observatoire de l’éthique publique, de confier le pouvoir d’agrément à une institution indépendante, telle que la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

Le Monde

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