Close

Nairobi by night : la vague « amapiano » déferle sur le Kenya

C’est dimanche, le soir tombe, et en plus il pleut. Le taxi, inséré dans une longue file de voitures, incongrue dans ce coin rural et mal éclairé des confins de la capitale kényane, manque de s’embourber sur l’interminable chemin de terre. A moins d’une petite centaine de mètres s’étend le parc national de Nairobi, avec ses prairies de hautes herbes, ses rivières et sa faune sauvage. Tapis dans l’ombre, lions, gnous et rhinocéros y entendent probablement le battement lointain des basses mais sont loin de se douter que se tient là, dûment séparés par un petit canyon creusé d’une rivière : la dernière édition d’un événement en vogue de musique électro.

A l’arrivée du taxi, changement d’ambiance : les agents de sécurité sont à pied d’œuvre, le parking est plein, et les fêtards remplissent déjà une bonne partie de l’immense tente beige dressée pour l’occasion, visiblement peu soucieux des menaçants nuages noirs qui passent au-dessus d’eux.

Vue du lieu de la fête de la musique électro organisée le 5 novembre 2023, à proximité du parc national de Nairobi, au Kenya.
La fête de la musique électro, à Nairobi, au Kenya, le 5 novembre 2023, est l’occasion d’échanges.

Les deux mains en l’air, casque sur la tête, le DJ domine depuis son estrade une foule dansante et enthousiaste, électrisée par un ballet de projecteurs et de geysers de lumières. Les fêtards sont de jeunes Kényans, entre 20 et 40 ans, plutôt issus des classes aisées, dont les tenues répondent aux codes mondiaux de l’électro : fringues décontractées et paire de baskets, parfois complétées d’un bob et de lunettes de soleil (malgré l’obscurité), de peintures fluorescentes sur le visage ou d’un kimono de wax ou de kitenge.

La musique electro, explique Sarah, qui ne souhaite pas donner son nom, « c’est un état d’esprit ». « C’est très relax, tu peux juste te laisser aller, il n’y a pas de pression, juste tu danses et tu existes », explique cette trentenaire à la voix déjà cassée, tout en battant le rythme, bras dessus bras dessous avec une amie.

Niveau sonore effarant

Il y a dix ans, quand elle était à l’université, cette musique n’était pas encore très populaire, raconte-t-elle. On ne pouvait l’écouter que dans quelques établissements underground de Westlands, le quartier de la fête, qui étend ses rues jalonnées de bars dans l’hypercentre de cette capitale d’environ 5 millions d’habitants. Il y avait aussi cette poignée de festivals, organisés par des passionnés dans des lieux incongrus, parfois en pleine brousse.

La vague amapiano, cette house au tempo assez lent, aux boucles de synthé entêtantes auxquelles s’intègrent des sonorités africaines, venue tout droit des townships d’Afrique du Sud, a popularisé le genre. Place forte de l’électro en Afrique subsaharienne, la « nation arc-en-ciel » avait depuis longtemps forgé cette culture avec le kwaito puis le gqom, qui déferle aujourd’hui avec l’amapiano sur tout sur le continent, grâce notamment à des stars comme Uncle Waffles, une DJ de 23 ans popularisé par les réseaux sociaux.

DJ ambiance la fête de la musique électro à Nairobi, au Kenya, le 5 novembre 2023.
Espace VIP de la fête organisée par Gondwana et Kunye, à Nairobi, au Kenya, le 5 novembre 2023.
Tenue masai lors de la fête électro, à Nairobi, au Kenya, le 5 novembre 2023.

Ce soir-là, à Nairobi, l’organisateur local Gondwana s’est associé au label de Johannesburg Kunye. « L’amapiano est un très bon équilibre entre de la musique commerciale et la musique africaine », explique Euggy, l’un des fondateurs de Gondwana et DJ lui même, à propos du succès grandissant de ce genre musical dans sa ville natale. « Il y a beaucoup de choses qui sont empruntées à des sons africains, que nous connaissons depuis toujours, donc les gens peuvent facilement s’identifier à la musique », ajoute-t-il en criant depuis la zone VIP où l’on surplombe la foule dans un niveau sonore effarant – un marqueur de la nuit nairobienne.

La popularité du genre a explosé pendant le Covid

Jusqu’ici, dans les bars de Westlands ou de Kilimani, un quartier plus résidentiel mais où plusieurs établissements ont ouvert, la musique empruntait surtout à deux zones géographiques. L’Afrique de l’Est tout d’abord, avec le bongo flava tanzanien (le hip hop local de Diamond Platnumz ou de Harmonize) ou encore le gengetone kényan (un rap en argot local inspiré du reggaeton, avec notamment Ethic Entertainment). Surtout, Nairobi se déhanchait sur les grands noms de l’afrobeats nigérian, des stars continentales qui remplissent des salles jusqu’en Europe comme Wizkid, Davido ou Patoranking.

L’amapiano est désormais devenu incontournable, sur les playlists mais aussi dans les ventes. « C’est certain », affirme Peng Cheng, qui a monté la billetterie en ligne HustleSasa. Cet observateur de la vie nocturne nairobienne, qui dirige également l’Alchemist, un immense bar et club de Westlands qui, en fin de semaine, ne désemplit pas avant 5 ou 6 heures du matin, remarque que la popularité du genre a d’ailleurs explosé pendant le Covid. « Ironiquement, il y avait des confinements assez stricts en Afrique du Sud et donc les artistes sud-africains y ont vu une opportunité de venir travailler au Kenya. Ils jouaient en journée, en extérieur. Je pense que ça a joué un rôle » dans ce succès, dit-il.

Désormais, les DJ de Nairobi se sont mis eux aussi à produire leur propre amapiano. Mais de l’autre côté du continent, la puissante et très créative industrie musicale de Lagos n’a pas dit son dernier mot : des artistes nigérians ont intégré ses tonalités à leur afrobeats, créant ce que certains surnomment déjà l’omopiano.

Pose photo lors de la fête de la musique électro, à Nairobi, au Kenya, le 5 novembre 2023.

source

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

0 Comments
scroll to top