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Face à la « normalisation » du Rassemblement national, une coupable apathie

Enquête après enquête, l’extrême droite peut mesurer les progrès de la « normalisation » entreprise par Marine Le Pen. Selon les résultats du baromètre annuel sur l’image du Rassemblement national (RN) diffusés jeudi 7 décembre par Le Monde et Franceinfo, deux verrous viennent de sauter : pour la première fois, les Français sont plus nombreux à penser que le RN, parti au projet xénophobe et autoritaire, ne représente pas un danger pour la démocratie (45 %) que l’inverse (41 %). Pour la première fois encore, ils sont plus nombreux à considérer la formation lepéniste comme un parti pouvant participer à un gouvernement (43 %) que comme un éternel opposant (39 %). L’évolution est d’autant plus significative que l’enquête repose sur les mêmes questions posées depuis près de quarante ans par l’institut de sondage Verian (ex-Kantar Public)-Epoka.

A l’instar de ce qu’il se produit dans de nombreuses démocraties européennes frappées par la poussée de l’extrême droite, Marine Le Pen s’est mise en situation d’exploiter et de récupérer les peurs liées à la mondialisation : la crainte du déclassement social, de l’insécurité, de l’immigration. Sa progression chez les plus vulnérables est perceptible depuis des années. Elle tente à présent d’élargir son audience à la faveur d’une actualité particulièrement sombre : de la crise des services publics au retour de l’inflation en passant par les émeutes urbaines, les attentats terroristes et certains faits divers dramatiques, tout lui sert de prétexte.

Marine Le Pen n’est pas invulnérable. Elle n’a jamais gouverné mais a déjà beaucoup changé d’avis. Son revirement le plus spectaculaire concerne l’euro qu’elle a prétendu vouloir quitter et qu’elle a finalement adopté. A l’Assemblée nationale, les 88 députés RN sont capables de réclamer dans la même tirade des milliards d’euros de dépenses publiques pour amortir les chocs énergétique, inflationniste, écologique, et de s’émouvoir du poids de la dette publique.

La concorde nationale qu’elle promet s’accommode mal avec la préférence nationale, élément structurant de son projet depuis l’origine du Front national, qui revient à faire de l’immigré le bouc émissaire. Son adhésion apparente aux valeurs républicaines bute sur sa volonté, si elle est élue, d’engager un bras de fer avec le Conseil constitutionnel pour imposer, entre autres, par référendum, l’inscription de la priorité nationale dans la Constitution, ce que le texte fondamental et la tradition républicaine excluent.

Lever le mirage

Mais qui, aujourd’hui, prend la peine de débusquer ses incohérences ? De mettre en lumière la dangerosité de son programme ? De lever le mirage qui consiste à faire croire qu’en votant pour elle les Français retrouveraient une France des « trente glorieuses » repeinte en rose par ses soins ?

Une coupable apathie à son égard s’est emparée du reste des forces politiques et sociales, comme si la disparition du front républicain, qui, pendant des décennies, a joué tout son rôle, les laissait impuissantes, démunies, inconscientes ou complices. S’installe ainsi le troublant sentiment que la marche de Marine Le Pen vers le pouvoir serait inéluctable.

Les faits sont pourtant là : louvoiement sur les vaccins anti-Covid pendant la pandémie, penchant prorusse dans la guerre en Ukraine, saillies racistes publiques de députés RN envers leurs collègues parlementaires, ou irrespect manifeste d’autres envers la première ministre… Le vernis est fragile. Au sein de l’exécutif, une poignée de membres du gouvernement, comme Olivier Véran ou Eric Dupond-Moretti, commencent enfin à l’écailler. Il en faudra bien plus pour que ne soit pas dit un jour que Marine Le Pen s’est nourrie de la faiblesse de ses adversaires.

Le Monde

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