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Privés de visas, les étudiants sahéliens victimes collatérales des tensions entre la France et les régimes putschistes

Etudiants burkinabés devant l’université Thomas-Sankara de Ouagadougou en octobre 2021.

« Pour nous, cette année, c’est fini la France », souffle Fodé*. Admis à l’université d’Angers en licence économie et gestion, le jeune Burkinabé n’ira pas étudier dans l’Hexagone. Jusqu’au 30 septembre, date butoir pour rejoindre la faculté angevine, Fodé a espéré partir. Mais, à l’instar de centaines d’autres étudiants du Burkina Faso, mais aussi du Niger et du Mali, également inscrits dans des établissements français, il n’a pas pu déposer sa demande de visa. Depuis cet été, les services consulaires français sont fermés dans ces pays dirigés par des juntes, « pour des raisons de sécurité », justifie-t-on au ministère des affaires étrangères.

La mesure a été annoncée en septembre en pleine crise diplomatique entre la France et le Niger. Après la prise de pouvoir par les militaires fin juillet, Paris a refusé de reconnaître les nouvelles autorités, qui maintiennent toujours le président Mohamed Bazoum captif. Les tensions ont abouti au départ précipité des troupes françaises et de l’ambassadeur de France.

Pris au piège de ces dissensions politiques, les étudiants des Etats concernés oscillent entre désespoir et incompréhension. La sélection est si rude que Fodé pensait avoir fait « le plus dur » en réussissant à obtenir une admission via Campus France, l’agence française de promotion à l’étranger de l’enseignement supérieur français et de l’accueil des étudiants étrangers en France. Faute d’avoir pu décrocher un visa, il a dû revoir ses projets à la baisse.

« J’ai perdu une opportunité en or »

« J’avais quitté un stage début août car j’espérais partir en France, explique-t-il. Je dois en trouver un autre mais, même ça, c’est très difficile ici à Ouagadougou. J’ai le sentiment d’avoir perdu une opportunité en or. » Avec d’autres camarades « bloqués », il a monté un collectif qui compte 115 étudiants. « Certains sont tombés en dépression, car ils n’ont aucune prise sur cette situation qui les dépasse. Nous implorons nos pays, ils doivent trouver une solution diplomatique pour nous sortir de cette impasse. »

Côté français, on confirme le statu quo tout en se défendant d’avoir pris une mesure de rétorsion contre des régimes militaires qui affichent leur hostilité à la France. « Il ne faut pas inverser les responsabilités, ce sont les juntes qui portent atteinte à nos relations. Nous souhaitons préserver les liens avec les forces vives de ces sociétés, notamment les étudiants », réagit-on au Quai d’Orsay. Le ministère affirme ne pas avoir « de visibilité sur la suite », mais assure réévaluer « les conditions sécuritaires dans ces pays, de façon à ajuster au mieux la mesure ».

Signe d’une légère accalmie, les services de Campus France ont rouvert le 1er octobre au Mali et au Burkina Faso. Les étudiants de ces pays peuvent à nouveau tenter une admission en France pour la prochaine année universitaire… sans garantie d’obtenir un visa. Reste à savoir si ceux qui avaient déjà été admis, devront reprendre la fastidieuse procédure à zéro. « Nous n’avons pas d’information sur ce point », répond-on à Campus France.

« Le cœur serré »

Au Niger, où la plateforme demeure fermée « pour des raisons de sécurité », l’horizon apparaît plus incertain. Chaque fois qu’il passe devant le consulat français à Niamey, Houzaifa Hamma Issaka a le « cœur qui se serre ». L’étudiant nigérien titulaire d’une licence en droit avait obtenu une inscription à l’université de Nice. Il se préparait à déposer sa demande de visa quand le coup d’Etat s’est produit. « Mes démarches administratives m’ont coûté 150 000 francs CFA (228 euros), soit cinq fois le salaire moyen. Rien ne m’a été remboursé et je me retrouve sans perspectives d’études », se désole l’étudiant qui visait un master en droits humains.

Comme lui, près d’une centaine de Nigériens admis dans des établissements publics et privés français a perdu une année universitaire. Désemparés, certains ont tenté, en vain, de déposer leur demande de visa au Bénin voisin. « J’ai fait 1 000 km pour tenter ma chance. Mais l’agent a refusé, car je n’ai pas de certificat de résidence. Pourquoi ne pas numériser les demandes ? », s’interroge Ibrahim Maiga.

« L’option dématérialisée pour le dépôt d’un visa n’est pas possible ni au Sahel ni ailleurs, répond le ministère des affaires étrangères qui argue d’une procédure immuable. Lors du dépôt du dossier, les données biométriques des demandeurs sont prises, le passeport récupéré afin qu’on y accole une vignette. »

« Ça a été un choc »

Certains étudiants sahéliens, bénéficiaires d’une bourse française, ont néanmoins eu plus de chance. Visés par la mise à l’arrêt de la mobilité internationale fin août suite à la « suspension de l’aide au développement », ils avaient appris quelques jours avant leur départ pour la France l’annulation de leur séjour de recherche. Puis, début octobre, la mesure, dénoncée dans les milieux académiques, avait été levée pour leur permettre de se rendre en France.

Koffi, étudiant en géographie à l’université de Ouagadougou, était attendu le 1er septembre à Paris-1 La Sorbonne. Mais deux jours avant, il a reçu un mail lapidaire. « En quelques lignes, on m’a expliqué que mon séjour d’études était annulé. Pourtant j’avais un visa, un logement. Ça a été un choc. » Le 1er novembre, il a finalement pu s’envoler pour Paris avec son visa initial de six mois. « Je vais pouvoir étudier jusqu’à fin janvier. Je suis bien loti car certains boursiers ont perdu beaucoup de temps avec ces restrictions. » En effet, malgré le déblocage de la situation, les durées de visa n’ont pas été allongées.

Doctorant en géographie et titulaire d’une bourse octroyée par l’ambassade de France, Hamidou Zougouri bénéficiait d’un visa courant de septembre à décembre. Mais il n’a pu se rendre à Paris que début octobre. « J’ai perdu un mois de recherche » explique-t-il par téléphone, à peine rentré de France. « J’ai tout de même travaillé au mieux grâce à l’investissement de mon directeur de thèse », se réjouit l’étudiant rattaché au CNRS. « Mais il aurait fallu nous informer de cette décision des semaines à l’avance pour qu’on s’organise. On a eu l’impression que la France nous abandonnait en plein vol. »

*Le prénom a été changé.

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