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Mort d’Henry Kissinger : les zones d’ombre d’une éminence grise

L’ancien secrétaire d’Etat américain Henry Kissinger, à Pékin, le 21 mars 2015.

Le besoin dévorant d’Henry Kissinger de peser sur les affaires du monde ne pouvait s’arrêter net en 1977, lorsqu’il dut quitter ses fonctions de conseiller à la Maison Blanche après l’élection de Jimmy Carter. L’ancien secrétaire d’Etat est mort mercredi 29 novembre à 100 ans.

Quatre décennies durant, à Washington et sur tous les continents, il a continué de se poser en homme d’influence, dispensant ses analyses géopolitiques et ses conseils stratégiques à travers de multiples réseaux, enchaînant les fonctions officielles et les missions privées, multipliant conférences, livres et articles de presse. Pourtant, à force de jouer les éminences grises, de justifier la pertinence de ses recommandations par ses succès diplomatiques passés, le « Dr Kissinger » s’est exposé au risque de voir les zones d’ombre de son passé le rattraper.

Dès 1975, la commission du Sénat américain, présidée par Frank Church, avait révélé son rôle dans la chute du régime de Salvador Allende au profit de la dictature Pinochet, au Chili, en 1973. En 2000, la déclassification des archives sur ces événements a étayé ces accusations. Dans son livre publié en 2001, Les Crimes de Monsieur Kissinger (The Trial of Henry Kissinger, Ed. Saint-Simon), le journaliste Christopher Hitchens accuse celui-ci de crimes de guerre, non seulement en Amérique latine, mais aussi au Cambodge (pour les bombardements de 1969 à 1973).

Plusieurs magistrats, au Chili, en Argentine et en France, ont cherché – en vain – à entendre l’ancien secrétaire d’Etat qui, de ce fait, a été contraint de rayer certains pays de ses tournées de conférences. Il quitta ainsi précipitamment la France en mai 2001 après s’être vu remettre une convocation du juge Roger Le Loire, qui enquêtait sur le plan « Condor » d’élimination des opposants aux dictatures latino-américaines.

Des conversations enregistrées à la Maison Blanche et révélées en 2013 ne laissent aucun doute. « Nous ne laisserons pas le Chili partir à l’égout », y menace ainsi Henry Kissinger en 1970, après l’élection d’Allende. De la Grèce à la Thaïlande et des Philippines à l’Argentine, la crainte du communisme et la défense des intérêts économiques américains mobilisait davantage le chef de la diplomatie américaine que la démocratie. Fidèle à lui-même, il n’eût de cesse de défendre la Chine contre les partisans de sanctions visant ses atteintes aux droits de l’homme.

Le phénix de la diplomatie

Cela ne l’empêcha nullement de poursuivre sa carrière universitaire, éditoriale et politique. Enseignant à l’université de Georgetown dès 1977, il fonda en 1982, à New York, un très lucratif cabinet de consultant au service de grandes sociétés privées (Exxon Mobil, American Express) et de gouvernements. Un temps conseiller du gouvernement vénézuélien (1990), de la Metro-Goldwyn-Mayer et du Crédit lyonnais (1994) et de Walt Disney (1997), Henry Kissinger n’a jamais perdu pour autant son accès privilégié à la Maison Blanche. Jusqu’au bout, il est resté un « insider ». Chaque président l’a consulté, tant pour valider ses orientations que pour neutraliser un personnage à la langue acérée, raffolant des médias.

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