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« Un report, voire un abandon, de la énième réforme de la Cour nationale du droit d’asile serait hautement souhaitable »

Après plusieurs reports ces derniers mois, le projet de loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration, porté par Gérald Darmanin, est en ce moment étudié au Parlement. Très discuté, le texte comprend notamment une nouvelle réforme de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), juridiction administrative chargée d’étudier les recours formés contre les décisions de l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra). Oubliée des débats d’actualité qui se focalisent généralement sur l’immigration irrégulière, cette énième réforme soulève tant de questions qu’un report, voire un abandon, serait hautement souhaitable.

L’intérêt même d’une réforme est douteux. L’objectif du projet Darmanin est officiellement double : « Accélérer le traitement des recours contre les refus de protection et rapprocher le juge de l’asile de ses justiciables. » L’objectif d’accélération, classique, est celui qui soulève le plus de difficultés. Il reste pour l’essentiel peu réfléchi. Les différentes réformes, qui s’enchaînent à une vitesse alarmante ces vingt dernières années, ont déjà accéléré de manière spectaculaire les délais de traitement des affaires.

En fixant à cinq mois le délai moyen d’examen d’une demande d’asile et en le réduisant à cinq semaines en cas de « juge unique », pour des affaires automatiquement (et de façon discutable) considérées comme « simples », la loi du 29 juillet 2015 a déjà créé un flux tendu à la CNDA, que n’a pas réduit la réforme ultérieure de 2018.

En outre, les chiffres montrent que cette instance traite plus d’affaires qu’elle n’en reçoit chaque année. Le rapport annuel de la CNDA est formel : en 2022, celle-ci a jugé 109 % des affaires qui lui étaient soumises, ce taux excédentaire perdurant depuis 2019 – en mettant de côté l’année de pandémie de Covid-19 en 2020. La Cour est donc parfaitement efficiente en l’état et, à ce rythme, elle aura soldé l’intégralité de son stock d’affaires et n’aura d’autre choix que de ralentir son rythme à partir de 2026 ou 2027.

Faire de la collégialité l’exception

Il est pourtant question d’accélérer encore en faisant, avec la réforme Darmanin, du juge unique la règle et de la collégialité l’exception. Il est en effet postulé par le projet de loi qu’un juge unique est plus rapide et donc préférable à la collégialité, c’est-à-dire à une formation de trois juges (dont l’un est nommé par le Conseil d’Etat et l’autre par le Haut-Commissariat pour les réfugiés, une émanation de l’ONU).

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Or la CNDA n’a pas besoin de trancher plus vite. Elle a au contraire besoin du temps et des moyens nécessaires à un « bon » jugement pour éviter les erreurs. Ses juges ont besoin d’interroger, parfois longuement, le requérant pour comprendre sa situation et évaluer son droit à être protégé. Ils ont besoin de délibérer collégialement, l’expérience et le regard de chacun des trois juges pouvant éclairer un élément nouveau du dossier, et ainsi susciter comme lever le doute, car celui-ci préside souvent à l’analyse des récits complexes et douloureux qui leur sont soumis au quotidien.

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