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« La science économique a perdu de vue la question foncière »

Les collectivités territoriales n’ont plus qu’une préoccupation : comment gérer le casse-tête de la dernière réforme en date, la pénurie programmée des sols qu’engendre le zéro artificialisation nette ? Qu’il s’agisse de la régénération des sols agricoles appauvris, de la nécessité de trouver des terrains pour la réindustrialisation, de l’objectif de densification des villes pour ne plus empiéter sur les espaces naturels et agricoles, des difficultés pour les primo-accédants d’être propriétaires de leur logement, de la montée des inégalités de patrimoine, il y a matière à réflexion pour la discipline économique contemporaine. Or celle-ci a perdu de vue de la question foncière, pourtant défrichée par d’illustres économistes.

Depuis les débuts de la discipline économique, avec les physiocrates, les économistes ont bien compris une caractéristique essentielle du foncier qui le distingue en particulier du capital. Le sol n’est pas « produit », il se contente d’être l’héritage du lointain passé géologique, contrairement au capital dit « productif », qui, lui, est le fruit d’un effort. Certes, on peut vouloir gagner sur la mer – on l’a fait ici ou là aux Pays-Bas ou à Dubaï –, mais, vengeresse, la mer grignotera à terme ces modestes avancées, ici ou là.

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Le sol doit bien sûr être travaillé pour coller aux usages – agricole, récréatif, terrain d’assise de l’immobilier, d’habitation ou professionnel : viabilisation, renaturation, ajout de matière organique et d’engrais, couvert végétal de plantes régénératrices. Mais la donnée de base est que la quantité de foncier dans un pays est presque fixe, sauf à entrer dans un conflit pour accaparer les terres des pays voisins – ce qui est d’ailleurs, hélas, la constante de l’histoire de l’humanité, et qui démontre sa valeur économique et symbolique.

Terres agricoles et sols urbains

Les marchés à offre fixe ont deux propriétés spécifiques. D’abord, dans un modèle concurrentiel, c’est la demande qui fixe le prix. C’est en fait un marché d’enchères : une parcelle appartient à celui qui en offre le plus. Ensuite, si on taxe le propriétaire foncier d’une manière uniforme quel que soit l’usage, il devra supporter entièrement le poids de la taxe. Celui-ci ne peut être diminué par un défaut d’entretien qui lui ferait perdre sa fonction – le foncier « brut » n’a pas besoin d’être entretenu pour exister – ou par une « délocalisation » de ce patrimoine à l’étranger : le foncier est, par essence, l’exemple du bien totalement immobile.

Cette dernière remarque peut paraître triviale, mais la comparaison avec la taxation d’autres dimensions du patrimoine est éclairante. Par exemple, une taxe sur le bâti peut décourager l’entretien, d’où, à terme, une diminution de l’offre en qualité ou en volume. Une taxe sur les machines ou le capital peut être évitée en les déménageant à l’étranger. Le sol présente cette particularité précieuse, et quelque part unique, que son propriétaire ne peut rien faire pour éviter de payer la taxe. Les physiocrates, les économistes classiques – Smith, Ricardo, Malthus, Mill – avaient tous perçu cette caractéristique unique, qui leur faisait recommander la taxe foncière parmi toutes les taxes disponibles de leur temps, car présentant peu de dommages collatéraux en termes de rétraction des ressources disponibles pour l’économie.

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