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Jean Pisani-Ferry : « La raison de l’augmentation des taux longs est à rechercher dans les mutations de l’économie réelle »

Il y a deux ans, au sortir de la crise sanitaire et avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les taux sans risque à dix ou vingt ans étaient négatifs. Ils sont aujourd’hui uniformément supérieurs à 2,5 %. L’écart de taux à dix ans entre la France et l’Allemagne était proche de 30 points de base (0,3 point de taux d’intérêt). Il avoisine aujourd’hui les 60 points. Que s’est-il passé ? Qu’est-ce que ça change ? Et quelles conséquences faut-il en tirer ?

La première explication qui vient à l’esprit est évidemment le relèvement des taux d’intérêt opéré à partir de l’été 2022. Le choc inflationniste a conduit les banques centrales à relever leurs taux directeurs, d’autant plus précipitamment qu’elles avaient longtemps cru que la flambée des prix serait transitoire. En zone euro, le taux de la Banque centrale européenne (BCE) est ainsi passé de zéro à 4,5 % en l’espace d’à peine plus d’un an. Mais ce relèvement n’a porté que sur les taux au jour le jour et, par contagion, sur les taux à quelques mois. Ce n’est pas par des facteurs monétaires, par nature contingents, que l’on peut expliquer une hausse aussi nette des taux à dix ans.

L’explication pourrait être que les marchés anticipent un relèvement durable de l’inflation. Ce n’est cependant pas le cas : malgré la violence du choc de 2022, les perspectives de hausse des prix pour le moyen terme n’ont décroché de la cible de la BCE que dans une mesure très limitée. Ni les anticipations de marché, ni celles des prévisionnistes ne s’écartent aujourd’hui substantiellement de 2 %. Ce ne peut pas être elles qui justifient un relèvement aussi marqué des taux longs. Autrement dit, la raison de l’augmentation des taux longs est à rechercher dans les mutations de l’économie réelle.

Bouffée d’inquiétude

Alors, que s’est-il passé ? Pour le comprendre, les économistes raisonnent en termes de taux d’intérêt réel d’équilibre. Généralement noté « r* », ce taux est celui qui égalise épargne et investissement lorsque l’économie est au plein emploi des ressources. C’est un taux réel qui ne dépend pas de l’inflation mais de déterminants comme la croissance, la démographie et l’équilibre global entre demande et offre d’actifs sûrs.

La difficulté est que r* n’est pas directement observable. Il ne peut être approché qu’indirectement, à partir des taux longs, d’une appréciation de ce qu’est l’inflation anticipée, et d’un jugement informé sur l’état de l’économie. Mais cela n’empêche pas qu’il joue un rôle important dans la conduite de la politique monétaire. Dans le même environnement d’anticipations d’inflation, le même taux directeur n’a ainsi pas le même impact selon que le taux réel d’équilibre est nul, négatif ou au contraire proche de 2 %.

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