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Prix de l’électricité : comprendre les enjeux du nouvel accord entre l’Etat et EDF

De la vapeur d’eau s’échappe des tours de refroidissement de la centrale nucléaire du Bugey, à Saint-Vulbas, le 20 juillet 2023.

L’Etat français et Electricité de France (EDF) ont annoncé, mardi 14 novembre, avoir trouvé un accord sur le prix de l’électricité d’origine nucléaire : à partir de 2026, le mégawattheure (MWh) serait vendu par EDF aux alentours de 70 euros, soit nettement plus que le montant actuel – inchangé depuis 2011 – à 42 euros.

Pourquoi un nouvel accord était-il nécessaire après 2025 ?

Fruit de longues et difficiles négociations entre la direction d’EDF et le gouvernement, cet accord permet de prendre la suite du dispositif d’accès régulé à l’énergie nucléaire historique, ou Arenh, qui s’arrêtera le 31 décembre 2025. Le dispositif Arenh, voté en décembre 2010 par la loi NOME qui a organisé l’ouverture à la concurrence du marché électrique français, contraint EDF à céder, entre mi-2011 et fin 2025, une partie de sa production électrique d’origine nucléaire aux fournisseurs alternatifs, dans la limite annuelle de 100 térawattheures (sur une production annuelle moyenne de 377 TWh), afin que ceux-ci puissent revendre cette électricité à un tarif raisonnable pour le consommateur. Le but étant d’ouvrir le marché électrique à la concurrence, conformément aux politiques européennes.

Depuis 2012, EDF vend donc une partie de sa production à 42 euros le mégawattheure.

Pour quelle raison le tarif de l’électricité nucléaire va-t-il augmenter ?

EDF a plaidé pour revoir à la hausse le prix du mégawattheure fixé par l’Arenh, qu’il estime bien trop faible par rapport aux prix du marché de ces deux dernières années. Lorsque le prix de 42 euros le MWh a été fixé, fin 2011, il n’était pas bien éloigné des tarifs du marché de gros, où le mégawattheure se négociait généralement entre 40 euros et 55 euros. Ces prix sont restés stables jusqu’à l’été 2021, mais se sont envolés avec la soudaine reprise économique post-Covid et la crise énergétique provoquée par la guerre en Ukraine : ils ont dépassé 200 euros/MWh et ont connu régulièrement des pics à plus de 400 euros/MWh.

Les prix actuels ont beau être revenus à des niveaux plus raisonnables (entre 90 euros et 120 euros/MWh), le plafonnement imposé par l’Arenh représente toujours un manque à gagner pour l’opérateur français, qui est contraint, jusqu’à fin 2025, de vendre dans un contexte de prix élevés, plus d’un quart de sa production à un prix deux à trois fois moindre que ceux du marché.

Le nouveau tarif négocié avec l’Etat pour prendre la suite du plafonnement de l’Arenh a donc pour objectif de limiter la casse pour les finances d’EDF lorsque les prix sur le marché de gros sont élevés. A cet égard, l’année 2022 a été catastrophique en raison d’une baisse historique de la production électronucléaire provoquée par l’arrêt de nombreux réacteurs nucléaires pour des problèmes de maintenance, ainsi qu’en raison des prix élevés de l’électricité qu’ils ont dû acheter pour compenser cette baisse. Le gouvernement a en plus relevé à 120 TWh le plafond de l’Arenh, ce qui a contraint EDF à céder davantage de sa production à ses concurrents à un prix très inférieur aux marchés dans le but de contenir le coût pour les consommateurs.

Ces dernières années, l’Etat a eu davantage tendance à protéger le budget des ménages que les comptes d’EDF, mais le récent accord constitue un changement notable de ligne de la part du gouvernement.

Pourquoi le gouvernement change-t-il sa position vis-à-vis d’EDF ?

Le gouvernement a accédé aux demandes de l’électricien car EDF va devoir, dans les prochaines années, relever plusieurs grands travaux industriels coûteux en capitaux, tout en assainissant ses finances. La maîtrise de l’endettement d’EDF est un sujet prioritaire pour les finances publiques, tant la dette de l’entreprise s’est alourdie en raison du coût de l’énergie et de la faible disponibilité du parc nucléaire français. Etablie à 43 milliards d’euros fin 2021, elle a bondi de presque 22 milliards d’euros en seulement un an, pour atteindre 64,5 milliards d’euros fin 2022.

La lente baisse des prix de l’électricité et la relance de la production nucléaire ont contribué à stabiliser ce creusement dans les six premiers mois de 2023, mais Bercy entend bien demander à EDF de rééquilibrer ses comptes plus durablement. « EDF doit être rentable. Nous ne sommes pas en Union soviétique. EDF doit dégager des moyens de financer ses investissements futurs », a déclaré le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, en présentant le nouvel accord.

L’autre raison tient aux défis industriels d’EDF, qui devra maintenir l’efficacité et la sûreté d’un parc nucléaire vieillissant, et assurer la construction de six nouvelles centrales. Des travaux considérables qui vont nécessiter de forts investissements financiers et mobiliser toute la capacité d’ingénierie de l’entreprise. La construction de six à quatorze réacteurs pour l’horizon 2035-2040 devrait coûter environ 51,7 milliards d’euros, tandis que le « grand carénage », le chantier qui vise à prolonger la durée d’exploitation des réacteurs existants à au moins cinquante ans, pourrait, lui, coûter environ 66 milliards d’euros.

Cet accord entraînera-t-il une hausse des prix sur les factures ?

Estimer les conséquences du nouvel accord Etat-EDF sur les futures factures d’électricité des ménages et des professionnels est un exercice périlleux, et probablement prématuré. Car, d’une part le futur prix est plus élevé que le prix plafond prévu par l’Arenh mais porte sur l’intégralité de la production nucléaire d’EDF, et non pas sur un maximum de 100 TWh, comme à l’heure actuelle. Et d’autre part l’accord conclu prévoit un mécanisme de redistribution des revenus d’EDF aux consommateurs lorsque le prix du mégawattheure dépasse un certain seuil : 50 % des revenus supérieurs à 78-80 euros le MWh, 90 % au-delà de 110 euros. Par ailleurs, le coût du mégawattheure n’est qu’une partie du coût facturé par EDF, il n’inclut pas les autres coûts (l’acheminement, par exemple), ce qui fait que la hausse du prix du MWh ne se répercutera pas tel quel, finalement, sur le consommateur.

Le Monde

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Un tel mécanisme vise à protéger particuliers et professionnels des fortes fluctuations du marché de l’électricité, notamment lors des périodes de prix élevés. Mais il n’écarte pas les craintes liées au manque de visibilité des factures dans un tel système. « Ces scénarios ne nous apportent aucune visibilité », juge Frank Roubanovitch, président de Cleee, une association regroupant de gros acheteurs. Interrogé par Le Parisien, François Carlier, directeur général de la CLCV, une association de défense des consommateurs, n’a pas mâché ses mots : pour lui, le nouvel accord « ne manquera pas de plomber une nouvelle fois la facture des ménages ».

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