Close

« On ne peut comprendre la diffusion de l’antisémitisme économique sans étudier concrètement le monde du commerce et ses pratiques »

La tragédie israélo-palestinienne conduit, entre autres malheurs, à la réapparition des pires formes de racisme. Parmi elles, l’association des juifs aux activités financières est une des plus anciennes et des plus sournoises. Un livre récent permet de prendre conscience de la longue vie des préjugés et de comprendre les mécanismes de leur transmission, deux conditions sans doute nécessaires pour s’en débarrasser. Il nous permet aussi de réfléchir sur l’activité financière et sa place dans l’économie aujourd’hui.

Lire aussi la chronique (2019) : Article réservé à nos abonnés Juifs persécutés, au Moyen Age déjà

Dans Juifs et capitalisme. Aux origines d’une légende (Seuil, 432 pages, 26 euros, numérique 19 euros), l’historienne Francesca Trivellato raconte l’histoire d’une légende selon laquelle les juifs auraient inventé les lettres de change et l’assurance maritime lors de leur expulsion de France, à la fin du Moyen Age. Ces instruments abscons leur auraient permis de rapatrier leurs capitaux vers leurs nouvelles résidences italiennes au nez et à la barbe des autorités royales. L’autrice détaille comment cette légende s’est diffusée, bien que démontrée fausse dès le XVIIIe siècle. Elle fut reprise dans un grand nombre d’ouvrages dans toute l’Europe aux XVIIe et XVIIIe siècles jusqu’à Karl Marx, Werner Sombart ou Max Weber.

Par ce récit, elle complète les nombreux travaux qui ont récemment renouvelé la compréhension des conceptualisations politico-religieuses de l’économie, dans la lignée de son collègue Giacomo Todeschini, qui explique que les juifs étaient considérés comme la figure symbolique du mal, nécessairement exclus de la cité chrétienne médiévale. Dans cette perspective, Francesca Trivellato fournit le chaînon souvent manquant entre la pensée médiévale et l’antisémitisme contemporain.

Accueillis mais soupçonnés

Surtout, elle montre que l’on ne peut bien comprendre la diffusion de l’antisémitisme économique sans étudier concrètement le monde du commerce et ses pratiques. Elle part d’un étonnement : la distance sociale qui existe entre les modestes usuriers juifs locaux du Moyen Age occidental et les marchands au long cours qui utilisent les techniques avancées que sont les lettres de change ou l’assurance maritime.

Ce n’est pas par hasard si la première mention de la légende vient d’un juriste bordelais spécialiste du droit de la mer, Etienne Cleirac, qui publie ses Us et coutumes de la mer en 1647. Elle n’est pas diffusée par accident par des manuels professionnels à l’usage des commerçants, dont le fameux Parfait négociant, de Jacques Savary (1675), ou encore par le Bordelais Montesquieu qui, lui, juge plus positivement les juifs, présentés comme précurseurs d’une société moderne pacifiée par le « doux commerce ».

Il vous reste 35% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

source

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

0 Comments
scroll to top