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Pourquoi les médecins s'inquiètent de la suppression de l'aide médicale d'État

Le Sénat a voté, mardi, la suppression de l’aide médicale d’État (AME) lors de l’examen du projet de loi immigration. Une décision immédiatement dénoncée par le personnel soignant et les associations d’aide aux migrants qui s’inquiètent des conséquences sanitaires sur la population et d’une saturation de l’hôpital public. Explications. 

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Ils sont vent debout contre cette décision politique. Le directeur de l’AP-HP, la Fédération Hospitalière de France (FHF), le personnel soignant, tous ont dénoncé la suppression de l’aide médicale d’État (AME) par le Sénat, votée mardi 7 novembre, dans le cadre de l’examen du projet de loi immigration. Ou plutôt sa transformation en aide médicale d’urgence, un dispositif beaucoup plus restreint.

« C’est une hérésie humanitaire, sanitaire et financière », a dénoncé la FHF dans un communiqué. Une semaine plus tôt, 3 000 soignants avaient déjà rappelé dans une tribune l’importance d’un tel dispositif pour les migrants : « Limiter leur accès aux soins aurait pour conséquence directe d’entraîner une dégradation de leur état de santé, mais aussi plus globalement celui de la population tout entière. »


Instaurée en 2000 par Bernard Kouchner et Martine Aubry, l’AME est un dispositif permettant aux étrangers en situation irrégulière de bénéficier d’un accès aux soins. Seuls ceux pouvant démontrer une résidence d’au moins trois mois en France et un faible niveau de ressources (moins de 810 euros/mois pour une personne seule) y sont éligibles.

D’après un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) publié en 2019, « le bénéficiaire type de l’AME est un homme entre 30 et 34 ans, vivant seul. Plus de la moitié des bénéficiaires sont rattachés à une caisse primaire d’assurance maladie d’Île-de-France. L’Afrique représente plus de deux tiers des bénéficiaires et l’Algérie est le premier pays en termes de ressortissants. »

« Le milliard le plus scruté de la dépense publique »

Près de 400 000 étrangers ont eu recours à l’AME en 2022, pour un budget de 1,2 milliard d’euros, contre 904 millions d’euros en 2018, selon l’IGAS, soit une hausse de 33 %. Une évolution directement liée à l’augmentation du nombre d’arrivées de migrants en France ces dernières années : « Mathématiquement, si vous avez plus d’arrivées, c’est normal que le coût de l’AME augmente. Inversement, pendant le Covid-19, on a fermé les frontières, et il y a eu moins de dépenses », explique Nicolas Vignier, infectiologue et chercheur en santé publique à l’Université Sorbonne Paris-Nord. Pour autant, l’AME ne représente que 0,5 % du budget de la Sécurité sociale qui s’élevait à 236 milliards d’euros en 2022.

La suppression de l’AME ne figurait d’ailleurs pas dans la version initiale du projet de loi. C’est la majorité de droite de la Chambre haute qui a durci le texte. Pour Les Républicains, l’AME représente un gouffre financier pour les Français. « Le gouvernement va demander un effort de 800 millions d’euros aux Français qui cotisent. Il est normal qu’on se penche sur un certain nombre de coûts, et l’AME poursuit une évolution très forte depuis un certain nombre d’années en nombre et en coût », a avancé le sénateur et président du groupe LR, Bruno Retailleau, lors des débats mardi.  


C’est pour cette raison que la droite a proposé de supprimer le dispositif pour le transformer en « aide médicale d’urgence » (AMU) qui ne couvrirait que « des maladies graves et des douleurs aiguës », ainsi que de la prophylaxie, réduisant le panier de soins actuellement pris en charge. 

Un non-sens du point de vue de la santé publique, selon Matthias Wargon, chef de service des urgences et du SMUR de l’hôpital Delafontaine à Saint-Denis, en banlieue parisienne : « Les migrants se soignent déjà moins que les autres, avec cette mesure ils attendraient le dernier moment pour consulter, et on se retrouverait avec des maladies très avancées. Il faut imaginer que ces étrangers sont déjà sur le territoire. Ils vous livrent vos colis, cuisinent dans vos restaurants, et vous vendent des légumes au marché. Tous ces gens, si on ne les soigne pas tôt, ils sont susceptibles d’attraper une maladie contagieuse et de vous la transmettre. » Autrement dit : « Un patient malade traité dès les premiers symptômes coûtera toujours moins cher qu’un patient qui va traîner des séquelles toute sa vie et qui finira de toute façon un jour par être français. » Enfin, la transformation de l’AME en AMU reviendrait à faire converger les sans-papiers vers les urgences, qui sont déjà saturées.

« Je n’ai jamais vu des gens qui venaient pour se faire recoller des oreilles »

En réalité, l’aide médicale d’État fait régulièrement l’objet de débats depuis sa création. Les associations la décrivent même comme « le milliard le plus scruté de la dépense publique ». « Les Républicains en ont fait un cheval de bataille politique. Certains élus brandissent le maintien de l’AME comme un outil favorisant l’appel d’air, sauf que ce n’est pas ce que nous racontent les chiffres, explique le chercheur Nicolas Vignier. Le motif des départs des personnes migrantes c’est surtout les études, le regroupement familial, les raisons économiques, les conflits, mais très peu les raisons médicales. »

Pour Matthias Wargon, qui voit quotidiennement défiler des personnes sans-papiers à l’hôpital : « Les bénéficiaires de l’AME viennent pour des maladies peu graves comme des angines ou des otites, plus rarement pour des tuberculoses et des cancers. Pour une très faible minorité, ils viennent parce qu’ils ne pensent pas être bien traités dans leur pays. Mais je n’ai jamais vu des gens qui venaient pour se faire recoller des oreilles », témoigne le médecin. 

Un taux de non recours de 50%

Si de nombreux parlementaires de droite et d’extrême droite font passer la France pour une destination de tourisme médical, la réalité est bien éloignée. À cause des barrières administratives et du manque d’information, près de 50 % des migrants éligibles à l’AME étaient exclus du dispositif en 2019, selon une étude menée par l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (Irdes) : « L’AME n’est pas un droit automatique, rappelle Nicolas Vignier. Il faut déposer un dossier à la Sécurité sociale avec un certain nombre de pièces, et ces personnes ont souvent des difficultés à les obtenir. Sans papier d’identité, vous ne pouvez pas faire votre demande d’AME. Sans adresse de domiciliation non plus, et pourtant, beaucoup n’ont pas de logement ». 

Même après cinq années ou plus de résidence en France, 35 % des personnes sans titre de séjour n’ont pas l’AME.
Même après cinq années ou plus de résidence en France, 35 % des personnes sans titre de séjour n’ont pas l’AME. © capture d’écran/Enquête « Premiers pas » IRDES

C’est encore pire dans les centres de soins gérés par Médecins du monde, où 80 % des sans-papiers éligibles à l’AME ne sont pas couverts. « Certains ne connaissent même pas ce dispositif malgré plusieurs années de présence en France ! », insiste Christian Reboul, référent migration, droit et santé de l’association. 

Le projet de loi immigration doit revenir sur les pupitres de l’Assemblée nationale le 11 décembre pour y être à nouveau débattu. Et les députés pourraient revoir la copie.  « Le gouvernement est très attaché à l’AME », un « dispositif de santé publique », a rappelé la ministre déléguée aux professions de santé, Agnès Firmin Le Bodo. De son côté, le président de la commission des lois, Sacha Houlié (député Renaissance), espère « [rétablir] le texte ambitieux de l’exécutif ».


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