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Aide médicale d’Etat : trois questions sur sa suppression, votée au Sénat

Le Sénat a adopté, mardi 7 novembre, la suppression de l’aide médicale d’Etat (AME) et a transformé ce dispositif de santé publique, destiné aux étrangers en situation irrégulière, en aide médicale d’urgence (AMU). La mesure n’était pas initialement prévue dans le projet de loi « immigration » du gouvernement, mais ce dernier ne s’est pas opposé au souhait de la droite sénatoriale qui a fait voter la suppression du dispositif.

La mesure pourrait toutefois ne pas passer l’étape de l’Assemblée nationale – où le projet de loi devrait être examiné avant la mi-décembre. Voulue de longue date par la droite et l’extrême droite, la suppression de l’AME est très largement critiquée par les professionnels de santé, les associations et les élus de gauche.

Comment fonctionne l’AME ?

Dispositif instauré par la gauche en 2000, l’AME est accordée aux étrangers en situation irrégulière présents en France depuis au moins trois mois et qui perçoivent moins de 810 euros mensuels pour une personne seule. Cette aide donne droit à la prise en charge à 100 % des soins médicaux et hospitaliers dans la limite des tarifs de la Sécurité sociale.

Cela ne signifie pas que le dispositif couvre systématiquement 100 % des soins : l’AME assure une prise en charge limitée aux tarifs de base de la Sécurité sociale, ce qui n’a rien d’une couverture intégrale. L’assuré peut avoir des restes à charge, selon les actes pratiqués.

Des prestations de base sont ainsi prises en charge sans avance de frais, toujours dans la limite des tarifs de la Sécurité sociale :

  • les soins médicaux et dentaires ;
  • les médicaments remboursés à 100 %, 65 % et 30 % ;
  • les frais d’analyses, d’hospitalisation et d’intervention chirurgicale ;
  • les principaux vaccins, certains dépistages ;
  • les frais liés à la contraception et à l’interruption volontaire de grossesse.

Contrairement aux autres assurés sociaux en France, les bénéficiaires de l’AME n’ont en revanche pas le droit à certaines prestations, comme les cures thermales ou la procréation médicalement assistée.

Depuis janvier 2021, le gouvernement a restreint la prise en charge de certains soins et traitements non urgents : un délai de neuf mois est désormais nécessaire entre le dépôt de la demande d’AME et l’accès à certaines opérations ou soins de ville. C’est par exemple le cas des opérations de la cataracte, des interventions pour oreilles décollées ou des prothèses de genou ou d’épaule.

En 2022, le dispositif comptait 415 000 bénéficiaires pour un coût total de 1,186 milliard d’euros, selon un rapport d’information parlementaire publié en mai. Rapporté aux dépenses de l’Assurance-maladie cette même année (247,1 milliards d’euros), l’AME ne représente que 0,47 %.

Si le nombre de bénéficiaires et les coûts de l’AME ont eu tendance à augmenter, cette proportion est restée stable ces cinq dernières années. « On peut supposer que le Covid a entraîné un plus grand besoin de consultations médicales et de recours à l’AME au cours des deux dernières années », expliquait le rapport au Parlement sur les étrangers en France en 2021. La dépense moyenne par bénéficiaire de l’AME en 2018 était de 2 685 euros (à un niveau stable sur dix ans), soit moins qu’un assuré social (3 087 euros en 2018).

Pourquoi le Sénat veut-il supprimer l’AME ?

La suppression de l’AME est une demande récurrente de la droite et de l’extrême droite, qui voient dans le dispositif un « un appel d’air migratoire ». En décembre 2022, déjà, le sénateur Christian Klinger (Les Républicains, LR) avait fait adopter lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2023 un amendement visant à remplacer l’AME par une « aide médicale de santé publique » concentrée sur les maladies graves, les soins urgents, la grossesse et la vaccination. L’objectif était de réduire de 350 millions d’euros le budget de l’AME, mais l’amendement n’avait finalement pas été retenu dans le texte adopté par l’Assemblée nationale. Deux amendements similaires avaient déjà été adoptés par le Sénat en 2018 et en 2019, sans réussir à franchir l’étape de l’Assemblée.

Le Monde

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Profitant de leur position de force au Sénat, le groupe Les Républicains a ajouté au projet de loi « immigration » un article qui ne figurait pas dans la version initiale du texte gouvernemental. Celui-ci transforme l’AME en une aide médicale d’urgence (AMU), au champ d’action réduit et aux conditions d’accès restreintes.

Les bénéficiaires de l’AMU devraient s’acquitter d’un droit annuel dont le montant sera fixé par décret, en plus de répondre aux conditions actuelles de l’AME. Le panier de soins serait largement réduit.

L’article 1er du projet de loi vise à réserver la prise en charge sans avance de frais :

  • au traitement et à la prophylaxie des maladies graves et des douleurs aiguës ;
  • aux soins liés à la grossesse ;
  • aux vaccins réglementaires ;
  • aux examens de médecine préventive.

Le gouvernement, qui a besoin des votes de la droite à l’Assemblée nationale pour faire passer son projet de loi, a émis un « avis de sagesse » (ni favorable ni défavorable) sur cet article finalement adopté, mardi 7 novembre, à 200 voix contre 136. Si plusieurs membres du gouvernement, dont le ministre de la santé, Aurélien Rousseau, ont déclaré leur opposition à cette mesure, Gérald Darmanin s’est dit « favorable » à la proposition de LR. Le ministre de l’intérieur y voyait le 7 octobre dans Le Parisien « un bon compromis qui allie fermeté et humanité ».

Pourquoi cette proposition est très critiquée ?

Depuis plusieurs semaines, les professionnels de santé mettent en garde contre une suppression de l’aide médicale d’Etat, qui aurait des conséquences potentiellement désastreuses d’un point de vue humanitaire et sanitaire.

« La remise en cause de l’AME ferait courir un risque majeur de désorganisation du système de santé, d’aggravation des conditions de travail des soignants et de surcoûts financiers importants », ont dénoncé plus de 3 000 soignants dans une tribune au Monde. « Il est préférable de prendre en charge une maladie bénigne, avant qu’elle ne se transforme en pathologie grave, ou avant qu’elle ne se propage », a expliqué la ministre déléguée aux professions de santé, Agnès Firmin Le Bodo, lors de l’examen du texte au Sénat, évoquant « de vrais risques pour notre système de soins ».

En 2019, un rapport de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l’inspection générale des finances (IGF) s’était déjà penché sur la question d’une réduction éventuelle du panier de soins pris en charge par l’AME. Il soulignait que le retrait de certaines prestations « pourrait s’avérer problématique sur le plan sanitaire et conduire in fine à des reports sur les soins hospitaliers, plus onéreux ».

Le principe d’une aide médicale d’urgence reviendrait à attendre que des pathologies se dégradent pour ne les soigner que lorsqu’elles deviennent dangereuses pour le patient. Avec le risque d’augmenter finalement le coût des soins.

Quant à l’introduction d’un droit d’entrée à l’AME, le rapport de l’IGAS et de l’IGF rappelait l’expérience de la mise en place d’un droit d’entrée de 30 euros en 2011, qui « incite à une grande prudence ». A l’époque, la mesure avait conduit à un infléchissement du nombre de bénéficiaires et à une très légère baisse des dépenses de l’AME de droit commun (− 2,5 %) mais avait été compensée par une forte hausse (+ 33,3 %) de la dépense de soins urgents dispensés par les hôpitaux aux patients étrangers en situation irrégulière ne pouvant bénéficier de l’AME. « Les hôpitaux payaient souvent le droit d’entrée à la place de leurs patients pour ouvrir des droits qui leur permettraient de facturer les soins », expliquaient les rapporteurs. La franchise avait finalement été supprimée au bout d’un an, en juillet 2012.

L’idée selon laquelle l’AME provoquerait une migration pour soins avait, de son côté, été démontée par une enquête de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé, réalisée en 2019 sur un échantillon de 1 223 personnes étrangères en situation irrégulière. Celle-ci montrait que seules 51 % des personnes qui y sont éligibles bénéficiaient de cette aide, suggérant que « la plupart des migrants ont peu connaissance de l’AME et n’ont pas tous la capacité à se saisir d’un dispositif complexe ». Les personnes ayant des besoins de soins réguliers, comme les personnes souffrant de maladies chroniques, apparaissaient fréquemment non couvertes. Le taux de non-recours pourrait être encore plus élevé selon Médecins du monde, qui assurait dans un rapport publié en octobre que 86,5 % des patients éligibles à l’AME reçus dans les centres de l’ONG en 2022 n’étaient pas couverts par le dispositif.

Lire aussi la tribune : Article réservé à nos abonnés « Non, l’aide médicale d’Etat n’est pas un scandaleux appât pour migrants ! »

Une nouvelle expertise du dispositif est attendue au début du mois de décembre, juste avant l’examen du texte à l’Assemblée nationale. Confié à Patrick Stefanini, ancien directeur des campagnes de Valérie Pécresse et François Fillon, et Claude Evin, ancien ministre socialiste de la santé, le rapport pourrait éclairer davantage les débats et, peut-être, disperser les fantasmes.

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