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Procès Dupond-Moretti : le garde des sceaux déclare vouloir se défendre contre « une infamie »

La première ministre, Elisabeth Borne, à sa gauche le garde des sceaux, Eric Dupond-Moretti, lors de la présentation dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne des mesures du gouvernement pour répondre aux violences urbaines. Paris, le 26 octobre 2023.

Une première sous la Ve République : un ministre en exercice jugé devant la Cour de justice de la République (CJR). A partir de lundi 6, et jusqu’au 16 novembre, le ministre de la justice, Eric Dupond-Moretti, est entendu pour prises illégales d’intérêts dans le cadre de ses fonctions.

L’audience devant la CJR, seule habilitée à juger des membres du gouvernement pour des faits commis dans l’exercice de leurs fonctions, s’est ouverte vers 14 heures au Palais de justice de Paris.

Lors de sa première prise de parole, le garde des sceaux a qualifié son procès d’« infamie » pour lui et pour ses « proches ». « Jusqu’à ces dernières heures, je ne me suis pas défendu, a-t-il déclaré à la barre, au fond pour ne pas que mon ministère et mon action soient éclaboussés. (…) J’entends me défendre dignement, complètement, mais j’entends me défendre fermement. »

« Monsieur le président, ce procès à mes yeux est d’abord un procès en illégitimité », a aussi dit l’ancienne vedette du barreau, rappelant que les syndicats de magistrats, à l’origine de la plainte déposée contre lui, avaient qualifié sa nomination place Vendôme à la surprise générale en juillet 2020 de « déclaration de guerre ». « J’ai été avocat trente-six ans, certains avocats m’ont reproché de ne plus l’être, certains magistrats de l’avoir été », a-t-il aussi avancé.

Durant l’audience, il restera ministre, mais des mesures seront prises « afin d’assurer le bon fonctionnement des pouvoirs publics et la continuité de l’Etat », comme des délégations de signature, une absence excusée au conseil des ministres ou encore son remplacement sur le banc du gouvernement au Parlement, a précisé une source gouvernementale à l’Agence France-Presse.

« En tant que garde des sceaux, Eric Dupond-Moretti a toute ma confiance », a déclaré la première ministre, Elisabeth Borne, sur France Inter lundi 6 novembre, vantant son « excellent travail » et son « droit à la présomption d’innocence ».

En plus de ce soutien, la cheffe du gouvernement a précisé qu’elle avait souhaité qu’il reste en fonctions et « puisse à la fois assurer sa défense et (…) que le ministère de la justice puisse tourner ». « Il faudra qu’il ait le temps nécessaire pour se défendre », avait justifié Mme Borne, vendredi.

Eric Dupond-Moretti encourt cinq ans d’emprisonnement et 500 000 euros d’amende

Interrogée, début octobre, sur une possible démission du garde des sceaux en cas de condamnation, Mme Borne avait répondu qu’il existait une « règle claire », déjà « appliquée » à d’autres ministres, en référence à Alain Griset – qui avait dû quitter le gouvernement en décembre 2021. Mais les oppositions déplorent cette situation inédite d’un ministre de la justice jugé dans l’exercice de ses fonctions par des magistrats et des parlementaires. La cour est composée de trois magistrats de la Cour de cassation et de douze parlementaires.

Il est le ministre de « tutelle des magistrats », le « ministre d’une partie des députés qui vont le juger » et l’avocat général « qui va requérir contre lui doit toute sa carrière à la Macronie », a fait valoir, dimanche, sur Radio J, le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure, craignant un procès « largement tronqué ». « La journée, [il va] être jugé et puis il revient à son bureau le soir traiter des affaires de la justice (…), ça laisse planer une suspicion », a regretté Sébastien Chenu, député (Rassemblement national) du Nord.

S’il est reconnu coupable de prise illégale d’intérêts, le garde des sceaux encourt jusqu’à cinq ans d’emprisonnement, 500 000 euros d’amende, ainsi qu’une peine complémentaire d’inéligibilité et d’interdiction d’exercer une fonction publique. L’ancien avocat pénaliste se dit « innocent » et répète n’avoir fait que suivre « les recommandations » de son ministère en lançant des enquêtes administratives contre quatre magistrats avec qui il avait eu des différends quand il était avocat.

Jean Castex et Nicole Belloubet appelés à la barre comme témoins

Ce dossier débute à la fin de juin 2020, en marge de l’affaire dite « Paul Bismuth » visant l’ancien président Nicolas Sarkozy, quand Le Point révèle que le Parquet national financier (PNF) a fait éplucher les factures téléphoniques de plusieurs avocats, dont M. Dupond-Moretti, pour débusquer une éventuelle taupe qui aurait informé M. Sarkozy et son avocat, Thierry Herzog, qu’ils étaient sur écoute.

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M. Dupond-Moretti, ami très proche de M. Herzog, dénonce alors une « enquête barbouzarde ». « On a basculé dans la République des juges », s’insurge celui qui est alors l’un des avocats les plus médiatiques du pays, avant de porter plainte.

Lire aussi l’enquête (2022) : Article réservé à nos abonnés Dupond-Moretti et les juges : aux sources d’une haine magistrale

La garde des sceaux d’alors, Nicole Belloubet, avait demandé une « inspection de fonctionnement ». Devenu ministre, M. Dupond-Moretti avait ordonné une enquête administrative contre deux magistrats et la procureure nationale financière, Eliane Houlette, pour déterminer d’éventuelles fautes individuelles.

Il avait aussi ouvert, dans une autre affaire, une enquête administrative contre un ancien juge détaché à Monaco dont il avait dénoncé en tant qu’avocat les méthodes de « cow-boy » et contre lequel il avait porté plainte au nom d’un client pour violation du secret de l’instruction.

Pendant l’enquête, M. Dupond-Moretti, qui a toujours entretenu des relations tendues avec les magistrats, a dénoncé une instruction « biaisée » visant à « salir la réputation d’un ancien avocat » et nourrir son procès en « illégitimité à occuper les fonctions de garde des sceaux ». Une vingtaine de témoins se succéderont à la barre au procès, dont l’ancien premier ministre Jean Castex et Mme Belloubet.

Seront aussi appelés à témoigner les quatre magistrats visés – et blanchis après leurs procédures disciplinaires –, des syndicalistes à l’origine des plaintes contre le ministre et l’ancien procureur général près la Cour de cassation François Molins.

Le Monde avec AFP

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