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Le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti devant la justice pour un procès inédit

Le garde des Sceaux en exercice, Éric Dupond-Moretti, était entendu lundi sur le banc des prévenus d’un tribunal, accusé d’avoir abusé de ses fonctions de ministre pour régler des comptes liés à son passé d’avocat. S’il est reconnu coupable de « prise illégale d’intérêts », il encourt cinq ans d’emprisonnement, 500 000 euros d’amende et une peine complémentaire d’inéligibilité et d’interdiction d’exercer une fonction publique.

Le ministre de la Justice en exercice, Éric Dupond-Moretti, comparaît depuis lundi 6 novembre pour « prise illégale d’intérêts ». Il est soupçonné d’avoir utilisé sa position de ministre pour régler des comptes avec quatre magistrats avec qui il avait eu des différends quand il était avocat.

C’est du jamais vu sous la Ve République. L’audience devant la Cour de justice de la République (CJR), seule habilitée à juger des membres du gouvernement pour des faits commis dans l’exercice de leurs fonctions, s’est ouverte lundi après-midi au palais de justice de Paris et doit reprendre mardi avec l’interrogatoire d’Éric Dupond-Moretti. 

Devant la cour lundi, l’ex-vedette du barreau a qualifié son procès d' »infamie » et prévenu qu’il se défendrait « fermement » contre les « mensonges, contre-vérités, et injures ». « Je voudrais brièvement vous dire dans quel état d’esprit je me trouve devant vous », a lancé le garde des Sceaux à la barre, « pour moi et pour mes proches, ce procès est une infamie ».

« C’est bien sûr une épreuve mais c’est aussi un soulagement parce que suis venu me défendre », ajoute-t-il, arguant qu’on avait « piétiné (sa) présomption d’innocence ».

Ministre comme si de rien était

Rémy Heitz, procureur général près la Cour de cassation, qui porte l’accusation au procès, s’est adressé aux juges (trois magistrats professionnels et douze parlementaires de tous bords), pour rappeler que ce procès très inhabituel n’était « pas bien sûr sans poser difficulté ».

« Pour les témoins qui vont comparaître, pour la plupart magistrats, dont certains membres du ministère public et dont la carrière dépend de celui-là même que vous vous apprêtez à juger », a-t-il précisé, demandant aux juges un « souci permanent d’objectivité, de l’impartialité ».


Ce dossier inédit fait de lui le premier ministre de la Justice en exercice à être jugé. Éric Dupond-Moretti a gardé jusqu’au bout la confiance du président de la République malgré sa mise en examen.

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Le temps de l’audience, prévue jusqu’au 16 novembre, il restera ministre comme si de rien était, ou presque : des mesures seront prises « afin d’assurer le bon fonctionnement des pouvoirs publics et la continuité de l’État », comme des délégations de signature, une absence excusée au Conseil des ministres ou encore son remplacement au banc du gouvernement au Parlement, a indiqué une source gouvernementale.

« En tant que garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti a toute ma confiance », a réagi la Première ministre Elisabeth Borne, vantant l' »excellent travail » de son ministre et insistant sur son « droit à la présomption d’innocence ». Elle a précisé qu’elle avait elle-même souhaité qu’il reste à son poste et « puisse à la fois assurer sa défense et qu’on s’organise pour que le ministère de la Justice puisse tourner ».

« Règle claire »

Éric Duponc-Moretti, nommé à la surprise générale en juillet 2020, joue sans doute son avenir en politique. Interrogée début octobre sur la question d’une démission en cas de condamnation, Élisabeth Borne avait répondu qu’il existait une « règle claire », déjà « appliquée » à d’autres ministres, en référence à Alain Griset qui avait dû quitter le gouvernement.

S’il est reconnu coupable de « prise illégale d’intérêts », le ministre encourt cinq ans d’emprisonnement, 500 000 euros d’amende et une peine complémentaire d’inéligibilité et d’interdiction d’exercer une fonction publique.

L’ancien ténor du barreau se dit « innocent » et répète n’avoir fait que suivre « les recommandations » de son ministère en lançant des enquêtes administratives contre quatre magistrats avec qui il avait eu des différends quand il était avocat.

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Ce dossier inédit débute fin juin 2020, en marge de l’affaire de corruption dite « Paul Bismuth » visant l’ancien président Nicolas Sarkozy, quand Le Point révèle que le Parquet national financier (PNF) a fait éplucher les factures téléphoniques de plusieurs avocats, dont Éric Dupond-Moretti, pour débusquer une éventuelle taupe qui aurait informé Nicolas Sarkozy et son avocat Thierry Herzog qu’ils étaient sur écoute.

Éric Dupond-Moretti, ami très proche de Me Herzog, dénonce une « enquête barbouzarde ». « On a basculé dans la République des juges », s’insurge celui qui est alors l’un des avocats les plus médiatiques du pays, avant de porter plainte.

La garde des Sceaux d’alors, Nicole Belloubet, avait demandé une « inspection de fonctionnement ». Devenu ministre, Éric Dupond-Moretti avait ensuite ordonné une enquête administrative contre deux magistrats et la cheffe du PNF pour déterminer d’éventuelles fautes individuelles.

Castex, Belloubet, Molins

Il avait aussi ouvert, dans une autre affaire, une enquête administrative contre un ex-juge détaché à Monaco dont il avait dénoncé en tant qu’avocat les méthodes de « cow-boy » et contre lequel il avait porté plainte au nom d’un client pour violation du secret de l’instruction.

Pendant l’enquête, Éric Dupond-Moretti, qui a toujours entretenu des relations rugueuses avec les magistrats, a dénoncé une instruction « biaisée » visant à « salir la réputation d’un ancien avocat » et nourrir son procès en « illégitimité à occuper les fonctions de garde des Sceaux ».

Une vingtaine de témoins se succèderont à la barre au procès, dont l’ancien Premier ministre Jean Castex, et Nicole Belloubet. Seront aussi appelés à témoigner les quatre magistrats visés – et blanchis après leurs procédures disciplinaires –, des syndicalistes à l’origine des plaintes contre le ministre, et l’ex-procureur général près la Cour de cassation François Molins.

Il est le ministre de « tutelle des magistrats », le « ministre d’une partie des députés qui vont le juger » et l’avocat général « qui va requérir contre lui doit toute sa carrière à la Macronie », a fait valoir dimanche sur Radio J le patron du Parti socialiste, Olivier Faure, craignant un procès « largement tronqué ».

« La journée [il va] être jugé et puis il revient à son bureau le soir traiter des affaires de la justice (…) Ça laisse planer une suspicion », a regretté Sébastien Chenu (RN).

La CJR est une juridiction à la fois juridique et politique, composée de trois magistrats de la Cour de cassation et de douze parlementaires de tous bords, régulièrement critiquée pour la clémence de ces jugements.

Avec AFP

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