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« Le credo professionnel et éthique de l’historien Marc Bloch nous rappelle l’importance absolue de la tâche qui a coûté la vie à Samuel Paty et Dominique Bernard »

Un terroriste islamiste a attaqué le 13 octobre un groupe d’enseignants devant son ancien lycée, à Arras. Il a mortellement poignardé l’un d’eux, Dominique Bernard, et blessé trois autres. Dans une vidéo qu’il a prise avant l’attaque, il fait l’apologie de l’organisation Etat islamique et fustige la France, en particulier pour son éducation républicaine.

Une éducation où figure l’enseignement du passé. Ce n’est pas un hasard si Mohammed Mogouchkov a demandé à un des autres professeurs s’il enseignait l’histoire. C’était d’ailleurs la discipline de Samuel Paty, le professeur de collège assassiné trois ans plus tôt presque jour pour jour.

Jamais deux sans trois ? Peu après l’assassinat de Dominique Bernard, à Sérignan, dans l’Hérault, un lycéen a envoyé un message Snapchat à un enseignant de son établissement, le lycée Marc-Bloch. Un message, entouré d’images de couteaux, disant : « T’es le prochain. » Arrêté par la police, l’adolescent a affirmé qu’il s’agissait d’une plaisanterie.

Personne n’a ri, mais l’esprit de Marc Bloch, peut-être, a émis un soupir. Dans la France de l’entre-deux-guerres, avec Lucien Febvre, Bloch a lancé le mouvement de l’école des Annales et révolutionné notre compréhension du passé. Les deux historiens ont détourné notre attention de ceux qui, pensions-nous, « agissent » sur l’histoire – rois, généraux, papes… –, pour la diriger vers ceux qui, pensions-nous, la « subissent » : paysans, soldats, artisans. Les événements politiques ne sont plus que l’écume des vagues à la surface de l’océan ; ce qui compte désormais, ce sont les changements démographiques, économiques et sociaux qui se produisent en profondeur.

L’impératif moral de l’historien

Dans ses livres novateurs sur la France médiévale, Bloch présente l’histoire comme une lutte acharnée entre un passé qui nous tire vers l’arrière et un présent qui nous pousse vers l’avant. Cette tension, bien qu’elle ne soit jamais résolue, révèle toujours les merveilles de notre humanité commune. Les historiens, souligne Bloch, doivent diriger notre regard « vers la vie » : la vie des générations passées, oui, mais aussi celle des générations présentes qui sont façonnées par ce passé. Pour Bloch, l’historien a un impératif moral : nous devons rendre compte du passé avec justesse, du moins avec le plus de justesse possible, parce que seule cette connaissance du passé peut nous aider à maîtriser le présent.

Ces convictions sont celles d’une personne qui non seulement étudie le passé, mais agit dans le présent. Comme son père et son grand-père, Marc Bloch se bat pour la France. Il sert courageusement son pays, d’abord pendant la première guerre mondiale puis, alors qu’il a déjà une cinquantaine d’années, durant la seconde guerre mondiale. Après la débâcle de la France républicaine et l’ascension du régime antisémite de Vichy, Bloch décline un poste à la New School for Social Research, à New York. Malgré ses origines juives, il choisit de rester en France et, en 1943, de rejoindre le mouvement de résistance Franc-Tireur. Au printemps suivant, il est arrêté par la Gestapo. Puis, après des semaines d’interrogatoires et de tortures, il est exécuté avec plusieurs camarades.

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