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« La question n’est plus de savoir s’il faut ou non une institution pour réguler le sport, l’urgence est d’en déterminer les modalités »

Les perquisitions et plaintes visant la préparation des Jeux olympiques de Paris 2024 interviennent alors que la plupart des événements sportifs majeurs des deux dernières décennies ont fait ou font l’objet de poursuites judiciaires liées à des faits de corruption. Voyons le verre à moitié plein : pour une fois, c’est en amont, un an avant les Jeux, que les actions judiciaires sont menées.

Félicitons-nous aussi que les systèmes de contrôle fonctionnent et ne soient pas empêchés dans la poursuite de leurs missions. Les rapports de la Cour des comptes, qui pointent régulièrement du doigt les risques de dérapage, témoignent également d’une vigilance bienvenue.

Quand il s’agit de conclure plusieurs milliers de contrats dans un laps de temps relativement court, le risque zéro n’existe pas. Le système de contrôle a justement pour but de mettre en place des règles strictes et de signaler les manquements détectés aux autorités compétentes, afin qu’elles puissent enquêter et poursuivre les violations le cas échéant.

Toute ingérence interdite

Mais ces procédures sont le reflet d’une législation française outillée en matière de lutte anticorruption qui ne s’applique que parce que les Jeux auront lieu en France. Alors pourquoi le mouvement sportif n’imposerait-il pas des standards éthiques aussi élevés et des règles d’intégrité uniformes pour l’ensemble des grands événements sportifs internationaux, et ce, où qu’ils aient lieu dans le monde ?

A ce jour, le mouvement sportif international, mené par le Comité international olympique (CIO), se réfugie derrière son concept d’« autonomie du sport » pour interdire toute ingérence des gouvernements dans les affaires sportives et ainsi s’autoréguler sans contrôle externe. C’était le sens du discours de Thomas Bach, alors nouveau président du CIO, il y a dix ans à la tribune des Nations unies, lorsque, suite aux différents scandales de corruption ayant éclaboussé le sport, il appelait à une « autonomie responsable », à savoir le respect de principes de bonne gouvernance en échange de cette liberté dans la gestion des affaires sportives.

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Aussi surprenant que cela puisse paraître, la régulation globale du sport est assurée par un écosystème d’organisations privées, dans lequel le CIO et les fédérations internationales dictent elles-mêmes les règles auxquelles elles entendent se soumettre. Et seules certaines d’entre elles délèguent le contrôle du respect de ces règles à des organismes qu’elles créent et dont le degré d’indépendance et les réels pouvoirs de sanction sont extrêmement variables.

Si ces initiatives, à l’instar des discussions avec certaines organisations publiques internationales, ont le mérite de reconnaître explicitement l’existence du problème, aucune n’est à la hauteur de l’urgence et de l’importance de normaliser la gouvernance du sport international, surveiller les pratiques au sein des institutions mais aussi orienter les méga événements sportifs vers un modèle plus durable et plus protecteur pour les athlètes, comme l’a suggéré un récent rapport onusien.

Abus, violence, matches truqués

Les débats autour de l’attribution des grands événements sportifs et de l’ensemble des contrats liés à leur exploitation (sponsoring, droits média, etc.), les multiples affaires d’abus et de violence envers les athlètes ou encore les affaires de matchs truqués ne doivent pas être décorrélés. Ensemble, ils attestent du besoin d’une régulation contraignante du sport international.

Car derrière l’arbre des affaires judiciaires se cache la forêt des collusions politiques et autres conflits d’intérêts qui sont le quotidien du sport mondial. Les milliards d’euros de revenus tirés des grandes compétitions ruissellent dans cette pyramide du sport fédéral, où de l’argent public est aussi injecté pour accueillir les compétitions mais en l’absence totale de règles uniformes en matière d’intégrité et de tout contrôle externe par une autorité spécialisée et réellement indépendante.

De plus en plus de fédérations comme l’athlétisme, le tennis et la natation, ou d’Etats, comme l’Australie et la Finlande, tendent ainsi à créer des structures consacrées au contrôle de l’intégrité dans le sport ; mais aucune n’a vocation à réguler l’ensemble du monde sportif au niveau international.

Il devient dès lors nécessaire que les pouvoirs publics, garants ultimes de l’ordre public et de l’intérêt général, se saisissent de leur responsabilité et engagent une réforme structurelle de la régulation du sport mondial, comme ils ont pu le faire lors de la création en 1999 de l’Agence mondiale antidopage (AMA), dont la gouvernance hybride publique-privée pourrait servir de modèle.

Si de nombreuses propositions ont été émises en ce sens ces vingt dernières années, deux initiatives ont récemment relancé ce débat.

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La première émane du Parlement européen, où une députée allemande propose de créer une Agence mondiale anticorruption indépendante.

Une autre émane de l’ONG danoise Play the Game qui a publié en juin un rapport défendant la création d’une Agence mondiale contre la corruption et le crime dans le sport.

Un système de sanction indépendant

Mais la question n’est plus de savoir s’il faut ou non une institution pour réguler le sport, l’urgence est d’en déterminer les modalités : Quel mandat ? Quel financement ? Quelle structure ? Il est éminemment souhaitable que le mandat de cette institution ait vocation à couvrir l’intégrité du sport dans son ensemble, à la fois l’intégrité des compétitions, l’intégrité et la sécurité des athlètes et enfin l’intégrité institutionnelle.

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Mais il importe en outre que ce mandat ne soit pas purement répressif et couvre prioritairement la mise en place d’un code établissant les règles de conduite ayant vocation à s’appliquer à l’ensemble des acteurs du monde sportif, mais aussi des missions de prévention (sensibilisation, éducation et assistance à la mise en conformité), de détection (surveillance, analyse de risques, réception des plaintes), d’investigation et un système de sanction efficace et indépendant.

Cette structure devrait bénéficier de trois formes d’indépendance :

– indépendance statutaire tout d’abord, en jouissant d’une personnalité juridique propre ;

– indépendance financière ensuite, sur la base de contributions multipartites (Etats, organisations sportives privées, sponsors, organisateurs d’événements en particulier, saisies du produit des infractions sanctionnées) ;

– indépendance stratégique à travers la supervision d’un conseil de gouvernance dont les membres seraient dénués d’intérêt envers les organisations sportives privées.

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A terme, seule une structure suffisamment indépendante et puissante pourra garantir le respect des meilleurs standards de gouvernance et d’intégrité au sein du secteur et forcer les acteurs du sport à rendre des comptes sur leur gestion. Elle doit servir d’horizon et de référence ultime dans la transition du sport international.

A l’heure où les Etats s’engagent dans la « diplomatie sportive » et où la plupart des organisations publiques internationales sont alignées sur le besoin de régulation internationale du secteur, la France a un rôle à jouer pour faire enfin entrer la gouvernance internationale du sport dans le XXIe siècle.

Frédérique Reynertz est directrice générale de FRConsulting, professeure adjointe en gouvernance, droit et économie du sport.

Pim Verschuuren est maître de conférences à l’université Rennes-II.

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