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Gérer la liberté de manifester en période de tension

Nul ne peut l’ignorer : en France, où cohabitent les plus nombreuses communautés juive et musulmane d’Europe, l’importation du conflit israélo-palestinien constituerait un risque majeur non seulement pour la cohésion du pays, mais pour la paix civile. Un péril d’autant plus insupportable qu’aucun membre de ces communautés, d’ailleurs composites, n’a de responsabilité dans les événements du Proche-Orient. C’est pourquoi la question de l’autorisation des manifestations destinées à défendre les causes qui s’y affrontent n’est ni légère ni simple.

En France, comme dans toutes les démocraties, le principe est la liberté d’expression et de manifestation, et il mérite d’être défendu. Il peut souffrir des exceptions en cas de risque de troubles à l’ordre public, autrement dit, si des violences peuvent être perpétrées pendant le rassemblement ou des délits y être commis, en l’occurrence des appels à la haine ou au soutien d’une organisation terroriste. L’interdiction doit rester une exception et les décisions des préfets doivent être prises au cas par cas, comme l’a justement jugé le Conseil d’Etat, mercredi 18 octobre. La plus haute juridiction administrative a regretté la « rédaction approximative » d’un télégramme diffusé par le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, enjoignant aux représentants de l’Etat d’interdire les manifestations propalestiniennes « parce qu’elles sont susceptibles de générer des troubles à l’ordre public ».

Dans chaque cas, il s’agit de satisfaire du mieux possible deux exigences que les démocraties sont les seules à faire cohabiter : la liberté d’expression et la sécurité publique. Cela dans un contexte français de peur et de défiance vis-à-vis des autorités. Un contexte où il est particulièrement difficile mais impératif de tracer une ligne ferme entre la libre expression des opinions, composante des libertés publiques fondamentales, et les incitations à la haine, qui constituent des délits. L’exacerbation des tensions, attestée notamment par la multiplication des actes antisémites, et le climat créé par l’assassinat du professeur de français Dominique Bernard par un jeune islamiste rendent le passage de cette ligne rouge particulièrement probable et délétère.

Gérer cette tension et ces risques réels ne peut pas être hors de la portée d’un pays comme la France. A Londres, Berlin ou Madrid, des manifestations ont été autorisées au cours desquelles les éventuels violences et appels à la haine ou au soutien du Hamas ont été réprimés. A Paris même, le tribunal administratif a levé, jeudi 19 octobre, l’interdiction d’une manifestation propalestinienne qui avait déjà débuté place de la République. Les magistrats ont estimé que la Préfecture de police n’avait apporté « aucun élément de nature à étayer » le risque de slogans illégaux ni celui de violences. Un sens de la nuance qui tranche heureusement avec les déclarations à l’emporte-pièce de M. Darmanin.

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La nécessité de protéger l’ordre public constitue, certes, la mission première du ministre de l’intérieur et tout dérapage dans la rue pourrait avoir des conséquences immédiates désastreuses pour l’ensemble du pays, toutes communautés comprises. Pourtant, la mise sous cloche durable d’une liberté publique fondamentale n’est pas justifiable, sauf à entretenir le climat de tension qu’elle est censée apaiser, sauf à alimenter l’argument piégé et toxique du « deux poids, deux mesures ».

Le Monde

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