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Hubert Reeves, en 2018 : « Je ne sais pas si la vie a un sens, mais nous pouvons lui en donner un »

Lorsque l’on rencontrait Hubert Reeves, on devinait très bien que derrière l’éminent astrophysicien – il avait notamment reçu, en 2001, le prix Einstein pour ses recherches sur la densité de la matière – se cachait aussi un éternel enfant contemplatif, qu’il confiait n’avoir jamais cessé d’être. Les yeux dans les étoiles, mais les pieds bien sur terre, il partageait depuis les années 1970 l’émerveillement que lui inspiraient la voûte céleste et la nature, l’une n’allant pas sans l’autre, auprès du grand public. En 2018, Le Monde des religions s’entretenait avec ce savant doublé d’un sage, ou ce sage doublé d’un savant. A l’occasion de sa mort, le 13 octobre, nous republions cette interview.

Dans votre ouvrage « Le Banc du temps qui passe. Méditations cosmiques » (Seuil, 2018), vous écrivez avoir eu toute votre vie l’idée « qu’il existe, dans la nature, une formidable intelligence, dont [vous vous deviez] d’explorer les arcanes ». Cette vision est partagée par bon nombre de « croyants », qui voient dans cette intelligence le doigt de Dieu, ce qui n’est pas votre cas. Pourquoi ?

Ce qui me différencie des « croyants », c’est qu’il s’agit pour moi d’une question : qu’y a-t-il derrière cela ? Je ne suis pas satisfait des réponses habituelles, que je trouve limitées par notre propre limitation. Nous sommes certes très intelligents, mais pas infiniment. Nous n’avons pas la capacité de tout connaître. Je dis souvent que vous n’auriez pas l’idée d’enseigner la géométrie à votre chat parce que vous savez qu’il n’est pas capable de comprendre. Nous sommes une espèce animale parmi des millions d’autres, même si nous surpassons les autres espèces sur le plan de la pensée abstraite.

Regardons les différents scénarios présents. Le premier est le scénario occidental, selon lequel il y a un Dieu, qui est une personne s’intéressant à nous ; quand on prie, ce quelqu’un est censé nous entendre. Le deuxième est le schéma oriental, selon lequel il n’y a pas un dieu, mais un principe organisateur, qui n’est pas une personne ; il n’y a donc pas de contact et ce n’est pas la peine de le prier. Le troisième, plus contemporain, est né avec les sciences : c’est la théorie du pur hasard. Ces trois scénarios me paraissent insuffisants. Je reste alors devant une question qui me dépasse. La réalité, à mon avis, va bien au-delà de ce qui se met en mots. C’est une sérieuse limitation de notre accès à la réalité.

Vous définiriez-vous plutôt comme agnostique ou comme athée ?

Je n’aime pas les mots parce qu’ils limitent les gens. Quand on dit « agnostique », on a l’idée de quelqu’un « qui ne sait pas ». Moi, je suis « dépassé ». Pour citer le biologiste John Burdon Sanderson Haldane (1892-1964), « la réalité est étrange, bien plus étrange que nous le pensons, bien plus étrange que nous sommes en mesure de le penser ». Ce qui ne m’empêche pas d’être curieux face à cette question.

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