Close

« Face à la salafisation des esprits, l’école est la ligne de front »

L'entrée de la cité scolaire Gambetta-Carnot, 
sécurisée par la police, à Arras, le soir du 14 octobre.

Trois ans après l’assassinat de Samuel Paty près du collège du Bois-d’Aulne, à Conflans-Sainte-Honorine, le 16 octobre 2020, et trois jours après celui de Dominique Bernard à Arras, les élèves du secondaire observent une minute de silence au sein d’établissements une fois de plus visés par le terrorisme islamiste. Celui-ci fait explicitement de l’école, et donc des professeurs, une cible privilégiée. Face à cette haine, beaucoup d’enseignants se retrouvent isolés, désemparés, voire désarmés, comme le montre le roman graphique Crayon noir. Samuel Paty, histoire d’un prof (Studiofact, 160 pages, 23 euros, numérique 16 euros), cosigné par le dessinateur Guy Le Besnerais et l’historienne Valérie Igounet. Pour Le Monde, Valérie Igounet dialogue avec le politologue Gilles Kepel, spécialiste du monde arabo-musulman, qui publie Prophète en son pays (L’Observatoire, 304 pages, 23 euros, numérique 16 euros), un essai où il mêle souvenirs personnels et réflexions géopolitiques.

« Tu es prof d’histoire ? », aurait demandé l’assaillant d’Arras, Mohammed Mogouchkov, à un collègue de Dominique Bernard, trois ans après l’assassinat de Samuel Paty, qui enseignait cette matière. Que vous inspire cette obsession ?

Gilles Kepel Aux yeux des djihadistes, il n’y a pas d’histoire, ou plutôt la seule histoire qu’on doit enseigner est celle de la révélation, qui commence en l’an un de l’Hégire. C’est pourquoi Al-Qaeda ou Daech [organisation Etat islamique] détruisaient les bouddhas ou les antiquités assyriennes. En France, l’école est identifiée comme le lieu de perdition des enfants musulmans et les professeurs d’histoire se trouvent particulièrement ciblés parce qu’ils sont chargés d’enseigner la laïcité, qui est l’ennemi absolu, en tant qu’elle dilue l’appartenance exclusive à la communauté et détruit l’obéissance à la charia.

Toute cette mouvance fonctionne autour d’un syntagme récurrent dans l’histoire du djihadisme contemporain, le principe du « al-Wala wal Bara’a », qu’on traduit par « l’allégeance et le désaveu ». Selon ce principe, il faut que les musulmans aient une allégeance exclusive à la charia dans sa version la plus rigoriste et la plus stricte et qu’ils se « désavouent » d’avec les lois des mécréants. Cela a diverses conséquences, dont certaines sont graves : le sang des « mécréants », ou kouffar, est « licite » – on a le droit de les tuer ; et, parmi les musulmans, ceux qui n’obéissent pas à ce principe sont considérés comme des apostats (murtadd), on a le devoir de les mettre à mort. Et, de même que le sang des mécréants est licite, leurs biens sont un butin légitime. Dans la bouillie du Web et des influenceurs salafistes, cela justifie les pillages.

Il vous reste 82.09% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

source

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

0 Comments
scroll to top